Derrida
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Internet, espace public                     Internet, espace public
Sources (*) :              
Frédéric Chétiac - "Traduire l'impossible", Ed : Galgal, 2007, Page créée le 14 octobre 2009

Pour un partage équitable des textes, des musiques et des images

   
   
   
                 
                       

 

La loi Hadopi a pour objet d'empêcher le téléchargement illégal d'oeuvres protégées par le droit d'auteur. Elle été votée par les députés et les sénateurs, et pour l'essentiel acceptée par le Conseil Constitutionnel (écrit le 26 octobre 2009). Je voudrais l'évoquer car elle me semble porter des enjeux qui dépassent largement la question étroite du téléchargement illégal.

RESUMÉ : L'émergence de l'Internet entraîne un changement majeur du modèle économique de la culture. En France, certaines professions menacées par ce changement ont riposté en proposant la loi Hadopi. Cette loi a en premier lieu des objectifs économiques, mais il serait réducteur de croire que le problème posé se limite à cela. On se trouve en face d'un basculement anthropologique majeur, auquel la société peut donner des réponses autrement plus ambitieuses que la loi Hadopi.

 

A. Changement de modèle économique.

Je ne vais donner que trois points :

 

1. Avec l'Internet, on passe d'une économie de la rareté à une économie de l'abondance. Dans l'ancien modèle, chacun avait accès à un moment donné à quelques films, quelques musiques ou quelques images dans des magazines ou des musées. On peut actuellement accéder à des centaines de milliers ou des millions de films, de musiques et d'images, enregistrés ou en streaming, à tout moment. Parmi ces productions, certaines sont récentes. Mais beaucoup sont amorties depuis longtemps, et peuvent être distribuées à un coût très bas. Conséquence : les prix baissent.

 

2. La chaîne de production. Dans l'ancien modèle économique, l'artiste créait une oeuvre (une composition, un scénario, une photographie, un texte, etc...), mais devait s'appuyer sur des techniciens pour fabriquer le produit de grande distribution, le reproduire, le distribuer, en faire la promotion. Au final, le titulaire des droits d'auteur ne touchait qu'environ 10% du prix de vente. Aujourd'hui il il peut produire directement un objet (texte ou musique) sous forme numérique, à un coût beaucoup plus faible qu'avant, et le diffuser par des canaux facilement accessibles à tous. Le buzz, qui est gratuit, a tendance à remplacer la publicité classique. Plusieurs professions sont menacées par cette chaîne raccourcie, qui pourrait faire augmenter sensiblement la part du gain revenant au titulaire des droits (30 à 50% dans la chaîne numérique du livre). Toutes sortes de professions autrefois indispensables apparaissent soudainement comme plus ou moins parasites.

 

3. Dans l'ancien modèle, les coûts variables étaient significatifs. Plus on vendait, et plus il fallait produire des objets matériels et les distribuer, et plus cela coûtait. Aujourd'hui les coûts variables sont pratiquement nuls. Il n'y a que des coûts fixes. Quand je consomme un bien numérique, je ne retire rien à personne. Quand je vais au concert, je prends quelque chose à quelqu'un, puisque le nombre de places est limité, mais quand je télécharge un film, je profite certes du travail d'autrui, mais je ne soustrais rien à personne. Cette nouvelle loi change radicalement la situation du secteur de la culture.

Dans ces conditions, toutes les barrières craquent, et les produits culturels sont de plus en plus souvent distribués gratuitement et massivement. Il est compréhensible que les professions menacées cherchent des moyens pour maintenir leur situation. Le problème est que la loi Hadopi, suscitée par ces professions, a pour objectif de rétablir artificiellement l'ancien modèle par des moyens qu'il faut bien qualifier de policiers : les fameux DRM (Digital Rights Management), les circuits de distribution obligatoires. Je n'insiste pas sur les raisons pour lesquelles ces méthodes répressives seront très certainement inefficaces, et je passe au second point.

 

B. Le basculement anthropologique.

On assiste à un second basculement, beaucoup plus important que le premier. C'est ce deuxième aspect qu'on peut comparer par son importance à l'invention de l'écriture ou de l'imprimerie.

 

1. GÉNÉRALISATION DU REMIX ET DU PARTAGE D'OEUVRE. Partons d'un exemple, la circulation de la musique. Avant la révolution industrielle, les musiques n'étaient pas transmises par des spécialistes, mais par des chanteurs et des musiciens locaux, qui se les appropriaient et les faisaient lentement évoluer en changeant les mélodies, les rythmes ou les paroles. Cela valait pour la chanson profane comme pour la chanson religieuse. N'importe qui - en fonction de son talent - pouvait être dans le même temps compositeur, interprète et consommateur. Au 19ème siècle, on a assisté à une industrialisastion de cette chaîne, avec spécialisation des rôles. On a distingué le producteur, le compositeur, l'interprète d'une part, le consommateur d'autre part, qui était relégué dans une position passive. Il y avait d'une part ceux qui étaient rémunérée et protégés par le droit d'auteur, et d'autre part celui qui payait pour la distraction qui lui était offerte. Or l'Internet rétablit la possibilité pour chacun d'occuper tous les rôles. N'importe quel amateur peut remixer des musiques ou des extraits (samples), les interpréter ou les diffuser. Bien sûr la qualité est extrêmement variable, mais la possibilité technique est rétablie, et des millions de personnes s'en servent. On voit avec les DJ de discothèque que toute musique peut servir pour n'importe qui à fabriquer n'importe quelle autre musique. Cette situation peut être analysée comme un retour au partage qui était la forme de transmission antérieure.

Je vais donner un exemple qui montre les ambiguités auxquelles cette situation conduit. Vous savez qu'en Angleterre, une loi analogue à la loi Hadopi est en cours de discussion. Une jeune chanteuse à succès de 23 ans, Lilly Allen s'est faite le porte-parole des défenseurs du droit d'auteur en Angleterre. Mais, petit problème, un journaliste s'est aperçu que non seulement miss Allen avait recopié sans autorisation un de ses articles initialement paru sur son site Techdirt, mais qu'elle avait aussi mis en ligne des compilations MP3 de chansons soumises au copyright ! Cette jeune chanteuse défendait sincèrement le droit des artistes à être rémunérée, mais ne s'était pas aperçue qu'elle pratiquait elle-même le Remix et le plagiat d'oeuvres protégées. Finalement elle a décidé de se retirer de la carrière musicale.

Une aventure analogue est arrivée récemment aux Conseillers de notre président de la République, qui ont reproduit un DVD de propagande en oubliant de vérifier qu'ils en avaient les droits.

Cela montre que le partage des oeuvres est tellement entré dans les moeurs que ceux qui prétendent le combattre ne peuvant pas faire autrement que s'en servir.

 

2. LA CULTURE BIEN COMMUN. Un autre événement s'est produit récemment, qui semble n'avoir aucun rapport : le prix Nobel d'économie a été attribué cette année à une femme, Elinor Ostrom, première femme récompensée dans ce domaine. Or cette économiste travaille sur les Communs, cette forme spécifique de propriété et de gouvernance qui place les décisions collectives des "communautés" au centre du jeu socio-économique. Pour ceux qui se souviennent de leurs cours d'histoires, il faut rappeler qu'au moyen-âge, les forêts étaient des biens communs, et que le capitalisme a commencé justement par la clôture de ces biens, le mouvement des enclosures. On peut comparer la propriété privée, y compris intellectuelle, à ces "enclosures". La notion des Communs est revenue à la mode avec la crise écologique.

Je vais donner, à ce sujet, un autre exemple. Les secteurs de la culture qui ont échappé à la privatisation sont rares. On cite généralement comme exemple les recettes de cuisine. Actuellement, vous avez le droit de lire une recette dans votre magazine féminin préféré, la réaliser chez vous, changer tel ou tel ingrédient, et ensuite la communiquer à votre meilleure amie pour qu'elle fasse pareil. Ce modèle est celui du partage gratuit de la culture : on peut publier une recette qu'on a trouvée dans un livre sans être accusé d'attenter à la propriété intellectuelle. C'est un des rares domaines où les traditions ancestrales se sont maintenues. Si on envoyait la police pour saisir chez vous le repas que vous venez de préparer parce que vous avez copié la recette sans en avoir les droits, vous seriez très surpris. C'est pourtant exactement ce qui se passe dans d'autres domaines.

Ce qui se passe aujourd'hui avec l'Internet, c'est que la culture, qui avait été privatisée, tend à redevenir un bien commun. On la partage facilement et gratuitement, et on s'occupe pas de qui a été l'inventeur ou l'auteur de tel ou tel récit ou de telle ou telle musique. Comme je l'ai montré avec l'exemple de Lilly Allen, cette tendance est tellement spontanée qu'on ne s'en aperçoit plus.

 

3. Autre conséquence sur laquelle je n'ai pas le temps d'insister : les fonctions sociales qui avaient été distinguées depuis deux siècles sont fragilisées. Les titulaires de droits, bien souvent, ne sont pas des artistes, mais d'excellents professionnels qui fabriquent un produit pour un marché (les blockbusters). N'importe quel technicien peut devenir producteur ou distributeur, et n'importe qui peut devenir un créateur. On le voit dans le domaine de l'écriture, avec la multiplication des blogs. Certes leur qualité est très diverse, mais il n'y a plus d'obstacle externe à la diffusion de ses propres productions.

Bien sûr d'importants secteurs professionnels organisés de façon traditionnelle subsistent, et subsisteront. Mais la nouveauté est que, à côté de ces secteurs professionnels, un secteur non marchand s'installe.

 

C. Que faire?

Je n'ai pas le temps d'argumenter pour expliquer pourquoi la loi Hadopi est, techniquement et politiquement, une mauvaise solution. Je voudrais simplement esquisser ce qui selon moi serait une bien meilleure solution.

Aux Etats-Unis, où le droit est beaucoup plus pragmatique, on a inventé ce qu'on appelle le fair use, un terme qu'on peut traduire par usage équitable des oeuvres de l'esprit. C'est une exception au droit d'auteur selon laquelle on peut utiliser gratuitement une oeuvre de l'esprit en fonction de quatre critères :

(1) usage créatif ou éducatif, et sans but lucratif ;

(2) l'oeuvre est plus ou moins protégée selon son originalité ;

(3) une partie réduite de l'oeuvre est utilisée ;

(4) l'utilisation ne réduit pas le marché potentiel de l'oeuvre.

On pourrait imaginer faire du fair use la règle applicable aux échanges non marchands, et du copyright la règle applicable aux échanges marchands. Certes la distinction n'est pas facile à faire, mais il y a déjà toute une jurisprudence aux Etats-Unis. Cela permettrait de légaliser des pratiques massives et qu'on ne peut pas empêcher. Exemple : il y a environ 250.000 reproductions de tableaux de Magritte sur le web, alors que c'est interdit. Peut-on réellement l'empêcher? En pratique le fair use est d'ores et déjà généralisé dans les faits, même s'il ne l'est pas en droit, et les sociétés de gestion collective le savent.

Pour la partie marchande, on mettrait en oeuvre la licence globale, seule façon de dégager des ressources importantes et de les redistribuer sans censure ni système policier.

 

 

 

 

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