La question de l'engagement politique de Jacques Derrida n'est pas simple. D'une part, il reconnaît l'urgence politique. On ne peut pas rester indifférent à la misère, à la guerre, aux violences, aux crimes, à la torture, à l'injustice. Il faut donc agir, se prononcer, intervenir. Mais d'autre part, nous sommes assignés ou assujettis à des formes et modalités d'action politique qui ne peuvent, par structure, que reproduire ces événements. Il faut donc déployer des stratégies qui évitent cette reproduction. Les deux niveaux sont inséparables, et tous deux incontournables - mais force est de reconnaître que Jacques Derrida lui-même ne s'est pas beaucoup impliqué dans le premier versant, celui de l'urgence. Ou plutôt l'urgence pour lui s'est traduite par la production d'une œuvre. C'est là que des principes purs, inconditionnels, peuvent produire des effets inouïs, souvent inattendus, du type de ceux qu'ont déclenché certains "partisans" ou révolutionnaires, dont l'action était gouvernée par une philosophie plutôt que par une tactique politique.

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Sa pensée s'oriente, dès le départ, vers une préférence pour ce qui n'entre dans aucune économie, ce qui rompt avec la réciprocité de l'échange. Ce qui l'intéresse, c'est le versant inconditionnel des problématiques de la responsabilité, du pardon ou de la justice. Il ne propose pas des règles de conduite, mais des principes non négociables, qui prennent généralement la forme du "il faut". Il faut laisser l’avenir ouvert, le secret indéchiffrable, inviolable, intact, il faut inventer pour chaque situation unique un autre idiome, se confronter à la folie du don, aux conséquences intenables de l’hospitalité, à la démesure de la justice, à une liberté inconditionnelle qui excède les calculs, etc. Si ces principes se traduisaient directement par une action militante, ils se borneraient au polemos, à la confrontation qui mène à la négociation et au compromis. Ils en resteraient au droit, à l’économie. Cela, certes, est nécessaire, mais l’apport singulier de Jacques Derrida n’est pas là. Ces principes étant difficilement compatibles avec les lois de l'Etat-nation, de la démocratie souveraine, il faut les mettre en œuvre autrement. Son engagement à lui, c’est qu’il faut œuvrer, mais pas n'importe comment.

S'il faut œuvrer, c'est parce que la question politique ne peut pas être dissociée des mutations du discours qu'il a analysées, à propos du livre, dès les premières pages de la Grammatologie.

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Propositions

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