On traduit usuellement le mot grec logos, par "langage", "discours", "raison", "calcul", "compte". Mais cela revient, selon Heidegger, à détourner le [véritable] sens de ce mot : "Ce qui rassemble en maintenant par force des opposés, des contraires". Le legein grec, c'est "rassembler", "assembler", "lire" (d'où vient le mot "legere"). C'est une force, une puissance. Selon la façon dont le mot est traduit, la culture est engagée différemment. Avec Aristote qui définit l'homme comme un zôon logon echon (animal rationnel), la distinction entre l'homme et l'animal est aggravée. Avec le Verbe de l'Evangile de Jean (Au commencement était le logos), le logos devient médiateur, Christ. Les enjeux de la traduction dépassent largement la lexicologie ou la sémantique, ils déterminent l'histoire de l'Occident.

Le logocentrisme est une hégémonie, un forçage qui, à partir d'une certaine traduction [ou plusieurs], impose l'autorité du logos comme parole, langage. C'est cette traduction qui réussit à rassembler les traditions bibliques (religions abrahamiques et évangéliques), la philosophie, la tradition grecque, sous l'égide du phonocentrisme. Ce rassemblement, qui s'opère dans une aire déterminée, on peut lui donner le nom d'Europe.