L'émergence de l'art abstrait est un événement. Décrit et analysé par d'innombrables critiques, il reste énigmatique. Cet événement, étonnante mutation de l'art, est lié à d'autres phénomènes non moins imprévus, comme la psychanalyse, la guerre de 14, ou la télé-technologie. C'est un temps de bouleversement, de crise des fondements, de brouillage où le visible s'est tellement élargi (photographie, cinéma), que l'invisible devient visible, que tous les moyens deviennent légitimes pour réaliser une vision.
Avec l'art abstrait, la figure se retire, mais aussi la voix. Ou plutôt la voix vibre encore, mais c'est la parole qui se retire, ou la représentation, ou la communication. A moins que ne ce soit le modèle qui se retire, et que seule la procédure reste. En tous cas, il y a du retrait, et c'est l'essence même de l'art. Notre société doit expérimenter l'extrême appauvrissement. Ainsi la modernité converge-t-elle avec la mystique.
Ce retrait ne mène pas au vide, au contraire, il attire le plein, voire le trop-plein de (nouvelles) conventions, de clichés, de styles et de relations.
Quand on regarde un tableau abstrait, sa clef n'est pas en lui, mais en nous. Il nous fait agir pour comprendre. Paradoxalement, c'est le tableau qui devient réalité vivante, charnelle.
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