Jacques Derrida fait référence au "tournant linguistique" qui marque les années 60. Le langage "comme tel", son signe, deviennent l'horizon des recherches les plus diverses. C'est une inflation, l'inflation absolue du signe. Voici une époque où la totalité de l'horizon problématique doit se déterminer comme langage. N'ayant plus de limites, n'étant plus bordé par des signifiés, se détachant des formes traditionnelles (la communication, la relation, l'expression, la signification, la pensée, etc.), le langage est paradoxalement menacé, désemparé, désamarré. Il cesse d'être rassuré sur lui-même. De quoi cela est-il le symptôme? Pour Derrida, sous cette inflation langagière, c'est l'écriture qui déborde. Ce qu'on appelle le langage n'est que la pellicule extérieure du concept d'écriture - ce signifiant du signifiant. On trouve maintenant de l'écriture partout : dans le cinéma, la danse, la musique, la politique, la biologie, etc... Avec la circulation illimitée des signes, c'est le jeu qui advient. Les concepts métaphysiques comme ceux d'âme ou de vie qui servaient à opposer la machine à l'homme sont remplacés par cet élément de base qu'est le gramme, qui désigne l'atome irréductible de cette écriture non phonétique, cette nouvelle écriture.

A l'ère du langage menacé, errant, on ne s'entend plus parler. Pour rassembler le langage, il n'est plus de voix qui renvoie à une vie ou une parole rassurante et stable.