Avec le fonctionnement traditionnel des maisons d'édition (écriture manuelle, dactylographie, épreuves, corrections, publication), il fallait une certaine durée pour mettre au point un texte - une maturation, un rythme, des allers-retours entre les différents intervenants - puis le processus s'interrompait. Le choix définitif du texte précédait la décision de publier. C'est tout un monde qui était impliqué, entre la machine éditoriale, le marché, l'imprimeur, la bibliothèque. Avec les nouveaux dispositifs, le nombre d'intervenants diminue. Les formes sont plus fluides, continues, les modifications immédiates, quasi immatérielles. Il s'ouvre une possibilité de révision infinie du texte - sans date, sans limite, sans loi. La fin du livre, si elle arrivait, serait aussi la disparition d'un devoir, d'une dette. Mais, selon Jacques Derrida, l'interruption est nécessaire.

Il ne peut y avoir de forme ni de formation d'un texte sans un arrêt. Il faut à la fois se méfier d'une certaine fétichisme du livre, d'une religion qui le sacraliserait, et de sa disparition - car la fonction d'arrêt, d'archivage, de consignation, reste irremplaçable - même si la forme qu'elle prendra à l'avenir est imprévisible.