Non seulement l'artiste doit pouvoir répondre de sa vie personnelle (comme tout le monde), mais aussi de la vie en tant que telle, dans toutes ses expressions et dimensions. L'artiste, selon Paul Audi, doit donner forme universelle à ce qui, en-dehors d'une mise en oeuvre, n'est que particularité ("ma vie", "ta vie"). Il doit "redonner chaque fois plus de vie à la vie", plus de puissance et d'émotion, plus d'effet aux possibilités de la vie incarnée. Il est appelé à répondre de ce qui, dans le monde de chacun, est entravé, arrêté, impossible, insupportable, et donc à ouvrir l'avenir, pour "répondre de la survivance même de la vie". Sa responsabilité, son devoir, c'est de donner plus de puissance à la vie en faisant oeuvre de cette réponse.

Avec ce commandement éthique de l'artiste créateur, ce qui est recherché n'est pas une voie nouvelle pour l'avenir de l'art [une nouvelle avant-garde], mais une possibilité nouvelle pour la vie. L'académisme des avant-gardes, qui parade dans toutes les foires et les institutions de la scène artistique mondiale, contredit l'idée même de création. C'est l'artiste (ou plus exactement l'anartiste) Marcel Duchamp qui a accompli l'acte inaugural de la nouvelle aventure. Il a dû pour cela inventer son public, engendrer son propre destinataire.