Pour voir, il faut (1) distinguer entre ce qui doit être vu et ce qui doit rester invisible (2) croire ce qu'on voit. Le visible qu'on voit à l'oeil nu, par exemple au cinéma, est hypostasié, privilégié. Il accède au statut de représentation - mais il reste inséparable et dépendant du non-visible. Ce dernier ne disparaît pas, il reste articulé au visible - même quand, dans la synthèse visuelle, il semble s'être effacé (mais une machine ou un instrument peut toujours le faire ré-apparaître, comme dans les expériences d'Edward Muybridge ou de Jules Marley).

La particularité du cinéma, c'est que pour produire une impression de réalité (l'illusion de la vie, du monde dans son mouvement), il doit passer par la machine. On n'accède à la sensation d'une continuité et d'une fluidité des gestes que par une suite d'images arrêtées, de vues fixes et discontinues [et plus la perception semble naturelle, plus des technologies complexes sont nécessaires]. Le leurre commence par le refoulement de ces dispositifs.

Jean-Louis Comolli donne l'exemple de la décomposition du mouvement par Jules Marey. Dans la vision naturelle, il est impossible d'analyser la succession des mouvements d'un homme qui court ou d'une mouette qui s'envole. Il faut pour cela des appareils spéciaux, par exemple le fusil chronophotographique que Marey avait mis au point (ancêtre de la caméra), une machine qui fait apparaître le non-vu.

Le zoopraxiscope d'Eadweard Muybridge.