Platon, dans Les lois, fait la liste des qualités ou des titres qui peuvent autoriser quelqu'un à gouverner : la naissance, l'âge, la citoyenneté, la force, l'intelligence, le savoir, ... Mais il y a un titre supplémentaire qui est le plus juste selon Platon : le hasard. En choisissant les dirigeants par tirage au sort, on ne perpétue aucun privilège. On s'assure que le peuple est fait d'égaux. S'il était retenu, ce mode de désignation serait scandaleux aux yeux de ceux qui se méfient du peuple (les démophobes). Et pourtant c'est bien ce qui se passe aujourd'hui dans une certaine mesure avec le vote, qui est lui aussi capricieux, aléatoire, imprévisible ou manipulable. Dans le vote comme dans le tirage au sort, le pouvoir peut être confié à des individus corrompus ou pervertis; mais il protège aussi contre les oligarchies ou les dictatures, comme le tirage au sort protège contre les ambitieux et les arrivistes. C'est donc un système ambigu, comme un pharmakon.

Le scandale du tirage au sort, c'est qu'il peut être le pouvoir de n'importe qui, et qu'en conséquence, la politique ne peut plus être la propriété de quiconque. Elle devient inappropriable - ni par l'oligarchie, ni par les experts, ni par personne. C'est ce qui tend à se reproduire aujourd'hui avec les blogs et les réseaux sociaux. N'importe qui peut faire circuler n'importe quelle information ou rumeur. Cette égalisation de la parole est, elle aussi, scandaleuse. Les démophobes, comme les technophobes, la dénoncent.