C'est l'une des premières collaborations de Victorine Meurent avec Manet; il y en aura beaucoup d'autres, dont Le Déjeuner sur l'herbe et Olympia. Elle marche en sortant d'un café dont les portes battantes ne sont pas encore refermées, munie d'une guitare, approchant de sa bouche (fermée ou à peine ouverte) quelques cerises, en soutenant quelques autres en équilibre dans le pli son coude. Tout cela donne une impression d'instabilité, de mouvement. Elle regarde devant elle, pensive, laissant voir son jupon blanc. Son visage est terne, blafard, et son regard inexpressif. Sa frontalité est toute relative - comparable à la serveuse du Bar aux Folies-Bergères, ou à la jeune femme assise du Chemin de fer. Michael Fried la compare à la Madone Sixtine de Raphaël, ce tableau où la Vierge apparaît dans toute sa gloire entre sainte Barbe et sainte Sixte. C'est, dit-il, une révélation de la femme, non pas une femme, mais de la femme en général, et c'est aussi une révélation de la peinture. Pourquoi? Elle se révèle, comme la Vierge, au spectateur, dans un moment unique, en émergeant d'un lieu clos, sans apercevoir quiconque mais tournée vers l'extérieur du tableau. C'est un instant dans sa vie, un instant qui la montre toute entière. Est-elle la chanteuse de rue? Pour l'instant, elle ne chante pas.