Il y a différentes façons de montrer les victimes. Certains appels à l'indignation, comme par exemple les photos de l'humanité souffrante de Sabastao Dalgado, sont, selon Arthur Danto, erronées. Pourquoi? Entre le contenu douloureux de ces photos et leur beauté apparente, externe, il y a discordance. On ne peut pas dire que l'oeuvre soit, en elle-même (par sa signification interne), belle. On peut faire le même reproche aux représentations de prostituées que Picasso a faites dans sa jeunesse dans un style décoratif, néo-classique. La beauté larmoyante mais séductrice de ces jeunes femmes jure avec leur situation tragique. Sans doute l'époque était-elle propice à ce type de sentimentalisme, que Picasso partageait avec la plupart de ses contemporains. Mais il y a un plaisir pervers à peindre ce genre de victime, qui suppose tout un dispositif, le regard d'un homme sur des "machines à souffrir", et la volonté du peintre de disposer de leur corps.

Dans la suite de sa carrière, Picasso s'est méfié de la beauté. Il a cherché à éviter ce type de voyeurisme - que certains ont parfois reproché à Matisse. Mais chez Matisse, la beauté "externe" des corps rejoint la beauté "interne" de l'oeuvre. Son hédonisme est dépourvu de sadisme.