Arthur Danto attire l'attention sur la beauté de cette peinture politique de Robert Motherwell. Dans la série des Elégies, elle porte le numéro 172 - c'est une des dernières, peinte deux ans avant la mort de l'artiste. On y trouve tous les traits caractéristiques de cette série : les larges barres verticales, les ovales, et aussi ces taches rouges dont il est dit expressément qu'elles sont du sang. Indépendamment de leur signification, ces formes sont, en elles-mêmes, belles - une beauté extérieure à la façon dont le titre de la série (Elégie à la République espagnole) invite à les interpréter. C'est ce titre qui nous fait comprendre qu'il s'agit d'une scène de deuil, de méditation sur la vie et la mort. Les peintures expriment la douleur et la perte; par leur rythme, leurs proportions, elles évoquent l'échec d'un idéal politique. C'est un second type de beauté, interne à l'oeuvre. A l'insupportable, on peut répondre par un art à la fois pictural, musical et poétique, très différent du Guernica de Picasso ou des photographies dénonçant la violence politique ou sociale. C'est un art émotionnel, qui suscite la tristesse, le regret. Sa beauté est un catalyseur qui transforme la colère en chagrin, en désolation morale, la met à distance et l'inscrit dans une perspective philosophique.