L'enfant, dans son développement, perd l'objet de plaisir [paternel et maternel]. Judith Butler s'inspire de Nicolas Abraham et Maria Torok pour distinguer entre deux façons de compenser (ou d'essayer de compenser) cette perte par identification à l'objet perdu :

- par introjection. Un espace vide est préservé où la parole est possible. Des mots disent l'absence. Par l'activité métaphorique, ils déplacent et dépassent l'objet initial. C'est ce qui se passe dans le deuil [quand il est réussi - et aussi pour l'objet de désir, quand il est reconnu].

- par incorporation. Dans ce cas la perte est désavouée, comme dans la mélancolie [il y a échec du deuil]. On ne peut pas nommer l'objet perdu ni admettre la perte. Il s'établit en-corps, s'ensevelit comme une partie morte et inerte du corps, possédée par toutes sortes de fantasmes. Un sexe devient littéralement la vérité du corps. C'est ce qui se passe selon Butler quand la différence des genres fixe les plaisirs et les désirs dans certaines zones (érogènes) du corps [excluant les autres]. Quand l'identité hétérosexuelle s'établit, l'objet homosexuel est radicalement perdu. Le sujet dénie la possibilité même de cet amour (objet et but). Ce déni, imposé par une prohibition ou un tabou social, ne permet aucun déplacement. L'objet rejeté n'est ni reconnu, ni pleuré.

L'hétérosexualité présentée comme naturelle, encouragée et déplacée par le tabou de l'inceste, légitimée par les normes de genre, cache littéralement dans le corps les traces de sa généalogie.