On trouve dans certaines photographies [comme dans certaines peintures] des mises en abyme. A l'intérieur de l'image, une autre image redouble la première [cette photo renvoie à cette photo qui renvoie à cette photo, etc..]. Ce procédé peut associer plusieurs signes (chaque signe devient une représentation de la signification de l'autre), ou bien un signe et le procédé qui a servi à le fabriquer (le photographe qui représente le processus de fabrication de la photographie). Dans certaines photos de Brassaï, l'espace réel est dédoublé par son reflet dans l'espace virtuel du miroir situé à l'intérieur du champ photographique. Ou bien la photo est un emboîtement de cadres dont chacun enferme une réalité qui est aussi une représentation. La photo ci-contre de Man Ray évoque un souvenir raconté par André Breton (p152). Il avait acheté au marché aux puces une cuiller en bois dont le manche était orné d'une petite chaussure sculptée. Arrivé chez lui, une série d'associations se déclenche [le cendrier Cendrillon], et voici comment Rosalind Krauss décrit ce qu'il ressent : "Il voyait le cuilleron et le manche de la cuiller comme l'avant et l'arrière d'une chaussure dont le talon serait formé par le petit soulier, et il imaginait que cette chaussure (celle qui était sculptée) avait pour talon une autre petite chaussure, et ainsi de suite à l'infini". Ce petit morceau de réalité était un indice qui à la fois lisait son propre inconscient (la chaussure comme fétiche phallique) et désignait une trouvaille, un objet urbain trouvé par hasard, une représentation en miniature de la ville moderne.