Pour trouver sa place dans le monde humain, une oeuvre d'art doit être écartée des besoins et des exigences de la vie ordinaire. Cela ne l'empêche pas de faire intensément partie du monde. Au contraire, c'est elle qui peut le mieux prétendre à la permanence à travers les siècles. Ne faisant pas l'objet d'une utilisation, elle est moins soumise à la corrosion que les autres objets et peut se présenter comme une partie non mortelle d'êtres mortels, un pressentiment d'immortalité, une démonstration tangible de la stabilité du monde.

L'art a toujours résisté à sa séparation d'avec la religion, la magie et le mythe. En transformant le processus de pensée en objets concrets, il transfigure et métamorphose le cours de la nature. Par l'écriture, la peinture ou la sculpture, il réifie la pensée. La main humaine transmute des sentiments et des passions en objets durables. Certes il y a un prix : l'esprit vivant ne subsiste que dans la lettre ou la mort. Même le poème, qui est le plus proche de la pensée, est un jour écrit et transformé en chose tangible.

La connaissance a une finalilté, mais la pensée n'a ni fin, ni but hors de soi. Elle est aussi inutile que les oeuvres d'art qu'elle inspire.