Si la pensée n'a pas d'autre origine que la sensation, on peut se demander si plusieurs façons de sentir conduiront à des pensées différentes. Y a-t-il, par exemple, un monde tactile et un monde visuel? Peut-on passer de l'un à l'autre? Un aveugle de naissance qui accèderait à la vue pourrait-il concilier sa première conception des formes avec la seconde? Le sens comme tel suffit-il à construire pour la conscience une forme du monde, ou y faut-il d'autres facultés? Comment trouve-t-on dans les phénomènes un ordre fixe? Berkeley, Voltaire ou Diderot se posent la question. C'est la question cruciale de toute psychologie et de toute théorie de la connaissance. Pour y répondre, l'expérience nous fait défaut car le monde se présente toujours comme déjà constitué. Les données perçues à elles seules ne conduisent pas aux idées de distance, position, grandeur, qui sont invisibles. Il faut pour cela un concept supplémentaire : celui de représentation. La représentation résulte des rapports qu'entretiennent entre elles les diverses données sensibles, et de la capacité de la conscience à passer de l'une à l'autre. Ainsi naît l'idée d'espace, de façon purement empirique, sans qu'il soit besoin de connexion logique ni de raisonnement.