Derrida
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TABLE des MATIERES :

                            NIVEAUX DE SENS :

 
   
Sarah ambivalente                     Sarah ambivalente
Sources (*) : Personnages bibliques               Personnages bibliques
Guideon Berto - "La Bague ouverte", Ed : Galgal, 2007, Page créée le 2 décembre 2001

[Sarah est un être ambivalent]

   
   
   
                 
                       

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Difficile de décrire en un mot le caractère de Sarah. Elle fut stérile, et elle devint féconde. Elle fut généreuse en sollicitant Agar (afin que son mari ait une descendance), et elle devint jalouse. Elle fut une soeur, et elle devint une femme. Chaque fois, elle a progressé, mais le nouveau stade a coexisté avec l'ancien. On perçoit dans son personnage un malaise, un mal-être. Elle a vécu dans l'ambivalence, et elle est morte dans l'ambivalence.

 

- Généalogie. Dans Gen (20,12), quand Abraham s'excuse auprès d'Abimelekh, il dit : "De plus, il est vrai qu'elle est ma soeur, fille de mon père; seulement, elle n'est pas fille de ma mère; et elle est devenue ma femme". On peut déduire de ce passage qu'elle est la demi-soeur d'Abraham. Leur père commun aurait alors été Terah. Quant à la mère de Sarah, on n'en connaît même pas le nom. Mais certaines interprétations talmudiques contestent que Terah ait été le père réel de Sarah. Selon ces rabbins, Terah n'en était que le père de substitution, parce que son véritable père, Haran (frère de Terah et père de Loth) serait mort jeune. En effet, la bible précise que "Haran mourût du vivant de Terah son père, dans son pays natal, à Our-Kasdim" (Gen 11,24) et que par ailleurs "Terah emmena Abram son fils, Loth fils de Haran son petit-fils, et Saraï sa bru, épouse d'Abram son fils; ils sortirent ensemble d'Our-Kasdim pour se rendre au pays de Canaan, allèrent jusqu'à Haran et s'y fixèrent" (Gen 11,30). Dans cette hypothèse, Abraham et Sarah n'auraient pas été frères et soeurs, mais cousins.

 

- Stérilité. Sa stérilité est évoquée dès la fin du Ch 11 de la Genèse, dans la présentation des générations, avant même l'annonce du départ d'Abraham. Pourquoi Sarah était-elle stérile? Le fait qu'elle ait finalement réussi à avoir des enfants montre que ce n'était pas un problème biologique. (Si Dieu avait simplement voulu faire un miracle, il ne serait pas passé par tous ces épisodes entre le Ch 12 et le Ch 21). Admettons, dans notre langage d'aujourd'hui, que c'était un problème psychologique.

     - parce que le couple ne marchait pas. Le talmud dit : "Aussi durant ces 90 ans où elle demeura sans enfant, Sarah semblait être une jeune épousée sous le dais nuptial". Autrement dit Abram ne la possède pas. Si le couple avait bien fonctionné, Abraham n'aurait pas senti le besoin de présenter deux fois sa femme comme si elle était sa soeur.

     - parce que Sarah était immature. Cette explication cadre avec le fait qu'elle était la fille de Haran, qui est resté jeune dans son souvenir et l'a prénommée "Ma princesse" (Saraï). Saraï serait restée attachée à ce père mort jusqu'au moment où elle est devenue Sarah. Alors seulement Abraham serait devenu son mari.

 

- Soeur ou épouse? Deux fois, Abraham fait passer Sarah pour sa soeur : une fois avec Pharaon, et une autre fois avec Abimelekh. Ce comportement étrange a fait l'objet de beaucoup d'interprétations.

     - d'abord, une question de base : Pourquoi l'épisode se reproduit-il deux fois? Il y a l'explication "philologique" : souvent le récit biblique se dédouble entre la version "yahviste" et la version "élohiste" (il y aurait même, dans ce cas, une troisième version, celle qui implique Isaac et Rébecca). Explication d'historien valable dans une logique scientifique, mais qui ne nous concerne pas ici. Autre explication : entre les deux épisodes, il n'y a pas que répétition, il y a changement, progrès. Selon le talmud, le progrès ne concerne que Sarah, qui n'est pas consentante la deuxième fois, alors qu'Abraham n'a rien appris (Gen R. 52,4). Encore faut-il analyser la nature de ce progrès (voir plus loin).

     - parce qu'ils sont vraiment demi-frère et demi-soeur, et donc que leur relation est d'une certaine façon incestueuse (v. généalogie). En se comportant de cette façon, Abraham exprime un aspect de la vérité.

     - parce qu'Abraham ne réussit pas à considérer Sarah comme une véritable épouse. Cela renvoie aux dysfonctionnements du couple.

     - interprétation positive : Abraham accepte une dépossession. Il préserve une marge d'inconnaissance entre l'homme et sa femme.

     - interprétation un peu trop moderne : Le "Dis que tu es ma soeur" biblique signifierait "tu es mon égale". Selon un midrach, Sarah se plaint à dieu, et dieu lui répond : "Tout ce que je fais, je l'accomplis pour toi, et tous diront : C'est à cause de Saraï, la femme d'Abram" (Gen R 41,2). Un jour, cette égalité sera vraie. Un jour, Sarah sera récompensée selon ses mérites.

     - il y a aussi une explication plus perverse. Sarah se serait vengée parce qu'Abraham ne reconnaît pas sa beauté. Il ne s'en aperçoit qu'en présence des autres. Dans cette perspective, c'est Sarah qui aurait cherché une sorte de confrontation avec Abram en "se donnant" à Pharaon (dont on ne sait pas si il l'a prise). Mais dans le cas d'Abimelekh (qui ne l'a pas prise), cette justification ne fonctionne pas.

 

- Couple. Il y a beaucoup d'ambivalence dans le couple Abram/Saraï, et elle est loin d'être éliminée dans le couple Abraham/Sarah.

     - le couple fonctionne mal, mais réussit quand même à évoluer, comme le montre l'épisode de la soeur. La première fois (avec Pharaon) ne permet pas de modifier leur relation. Abraham est humilié, mais il n'a pas compris. Il recommencera. (Il est incapable de quitter sa position névrotique). C'est seulement à la deuxième expérience qu'il y aura un changement : la relation avec Abimelekh permettra à Abraham de repositionner leur couple. Avant le passage de Sarah, toute la maison d'Abimelekh était stérile. Après ce passage, Abimelekh pourra lui aussi enfanter. Ils entrent tous dans une relation d'échange avec des tiers, une relation qui n'est pas unilatérale, mais multilatérale.

     - Abraham prend d'autres femmes. Il aurait eu en tout deux épouses (Sarah et Agar), et deux concubines (dont Ketoura (Gen 25,1-2), avec laquelle il a eu 6 enfants). A moins que Ketoura et Agar ne soient qu'une seule et unique personne. Un autre commentaire dit qu'Abraham aurait eu trois femmes descendant de Sem (Sarah), Cham (Agar) et Yaphet (Ketoura). Il résulte de tout cela que sa relation avec Sarah ne lui suffisait pas.

     - c'est le premier couple qui se parle dans la bible, mais ces discussions révèlent aussi leurs différences. Au moment où ils se parlent la première fois, ils s'appellent encore Saraï et Abram. Voici ce que dit Abram : "Certes, je sais que tu es une femme au gracieux visage. Il arrivera que, lorsque les Egyptiens te verront, ils diront : C'est sa femme, et ils me tueront, et ils te conserveront la vie. Dis, je te prie, que tu es ma soeur, et je serai heureux par toi car j'aurai, grâce à toi, la vie sauve" (Gen 12,11-13). Dans un sens, cette phrase est un hommage (Tu es belle), mais dans un autre sens, c'est une crainte (Les égyptiens sont plus sensibles à la vision qu'à la parole, cette beauté peut nous jouer des mauvais tours). Cette première conversation n'est pas un véritable dialogue. Saraï ne répond pas, même si elle acquiesce implicitement. Le second dialogue (Gen 18,13), à propos de la possibilité d'avoir un enfant, est un échange entre égaux. Sarah conteste qu'on puisse croire aveuglément en dieu, même si elle en a peur (Gen 18,15). Dans le troisième dialogue, Sarah exprime sa satisfaction d'avoir enfanté (Gen 21,6-7).

 

- Beauté. La beauté de Sarah est ambivalente. Au départ, elle est trop belle pour être un objet de sexualité. Elle est plutôt un objet de fantasme (pour les égyptiens, et aussi pour Abram), un pur objet de vision. C'est ce dont Abram veut se protéger en la considérant comme sa soeur. Mais cette beauté a d'autres fonctions. Le Zohar précise que Sarah est toujours accompagnée par la chekhina qui, grâce à elle, devient visible pour Abraham. Présence divine qui fait penser à celle des barres de l'arche de l'alliance, invisibles derrière le voile, mais ressemblant à des seins de femme.

 

- Croyance. Le couple est monothéiste. Ils ont tous deux confiance en dieu. Selon le talmud, "Rav Houna a dit : Abraham convertissait les hommes, tandis que Sara convertissait les femmes" (Gen R. 39,14). Sarah est une prophétesse (Meg 14a), il lui arrive une fois d'entendre directement dieu (Gen 16,10 et 14), mais c'est quand il lui reproche d'avoir ri. La différence entre Abraham et Sarah, c'est que Sarah hésite. Elle ne se contente pas de rire quand les messagers disent qu'elle enfantera (Gen 18, 12-14), comme l'avait fait également Abraham (Gen 17,17), elle argumente. Les rabbins insistent plus sur son rire à elle que sur son rire à lui, car dieu le lui reproche de manière explicite (Gen 18,13). Abraham rit de bon coeur, tandis que Sarah se moque. Comment une femme ménopausée pourrait avoir un enfant? Elle proteste (Gen 18,15). Sa foi est moins aveugle que celle d'Abraham. Elle est dans l'incertitude, l'hésitation. Elle a du mal à croire à sa grossesse, et supporte aussi mal la ligature de son fils, jusqu'à en mourir. Cette dimension de croyance prudente fait de Sarah un personnage plus moderne qu'Abraham.

 

- Jalousie. Alors que Léa et Rachel considèrent les enfants nés de l'union de leurs servantes respectives avec Jacob comme leurs propres enfants, Saraï, qui pourtant avait suggéré l'union d'Abram et d'Agar (Gen 16,2), rejette Agar. Elle persuade Abram de la chasser (Gen 16,5-6), puis à nouveau Abraham (Gen 21,10). Cette jalousie est une injustice, une faute, et Abraham est fort mécontent (Gen 21,11). Il a reconnu son fils Ismaël et lui a donné son nom, mais accède à la volonté de Sarah à la demande expresse de dieu (Gen 21,12). C'est un des aspects de la modernité de Sarah : elle exige de la part de son mari un amour exclusif. Elle n'accepte pas qu'il ait plusieurs femmes. Formellement, elle obtiendra satisfaction. Agar (fille de Pharaon dit-on) accomplira son destin : "celle qui se déplace" (lehitgayer) (il est possible toutefois qu'elle soit revenue sous le nom de Ketoura). Ismaël sera avec son père in (Gen 16,23), pour sa circoncision à l'âge de 13 ans, mais sera ensuite abandonné dans le désert avec sa mère (Gen 21,14) (abandon du fils qui n'est pas sans rappeler la ligature d'Isaac). Ces événements resteront comme une tâche dans la relation de Sarah et d'Abraham.

 

- Sexualité. Le pendant de la stérilité de Sarah est sa sexualité, qui apparaît de manière transgressive dans sa beauté, sa jalousie, son rire. C'est cette sexualité qui fait peur à Abram et qu'il faut détourner. Saraï est considérée comme une soeur, livrée à d'autres hommes, elle reste à la porte de la tente dans l'épisode des trois anges, et peut-être même n'est pas l'objet de relations sexuelles. Pour devenir accessible, il faut qu'elle perde un yod qui représente l'excès de sa sexualité (Gen 17,15). C'est pour elle une sorte de circoncision. Ce yod est divisé en deux hei, l'un pour elle, l'autre pour Abraham. Après cela, leur sexualité deviendra féconde. Les deux existences d'Abraham et de Sarah, individuelles et rééquilibrées, pourront se réunir en un nouveau yod (symbole phallique), qui est la première lettre du tétragramme. Quand Isaac viendra au monde, Sarah dira "Dieu m'a donné une félicité, et quiconque l'apprendra me félicitera" (Gen 21,6), ce qu'on peut traduire aussi par : "L'Eternel m'a apporté le rire, quiconque entendra, rira pour moi". Elle se félicite de la réussite de sa jouissance sexuelle.

 

- Mère. Sarah est peut-être la première mère juive. L'alliance pour elle se situe au niveau de la fécondité, alors que pour Abraham elle est symbolique. On peut imaginer son amour pour son seul enfant, Isaac, arrivé à un âge tardif. Du point de vue d'Isaac, Sarah resplendit tellement qu'il sera le seul des trois patriarches à n'avoir qu'une seule femme, Rebecca (répétition de sa mère : Rebecca serait née le jour de la mort de Sarah, et quand Isaac la ramène, il l'installe dans la tente de sa mère (Gen 24,67)). Sarah élèvera son enfant comme un fils unique et mourra d'émotion après qu'un ami malveillant lui aura raconté la ligature d'Isaac.

 

- Mort. Elle meurt à 127 ans à Hebron (Gen 23,2). Selon le talmud, c'est le jour de la ligature, dont elle aurait eu l'intuition. (Selon Rachi, à 100 ans elle était comme à 20 ans à l'égard du péché, et à 20 ans elle était comme à 7 ans à l'égard de la beauté). C'est pour elle qu'Abraham a acheté le caveau de Makhpela. Plus qu'une preuve d'amour, cet achat est un investissement patrimonial (il servira aux trois patriarches). Abraham n'aurait eu que des regrets mitigés, car Sarah serait morte d'une prière perverse dirigée contre Agar (cette interprétation ne contredit pas complètement celle de la ligature). Il la pleure (velivkotah), mais pas beaucoup, car ce mot est écrit avec un kaf plus petit que la normale. En effet la conduite de Sarah était une sorte de suicide. Toutefois, selon le talmud, sa mort aurait provoqué des pleurs dans le monde entier. Elle était princesse de son peuple et devient princesse de l'humanité (Gen R 47,1).

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Propositions

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Saraï est la fille d'un homme qui est l'exact opposé d'Abraham

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Abraham doit apprendre à se défaire de son père, de sa mère, de sa terre, de son fils, de son prépuce, de dieu et même de sa femme

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Sarah et Abraham sont le premier couple biblique "qui se parlent"

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Abraham et Sarah, vrais prophètes, rient de la parole de dieu

 


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