En privilégiant la question générale de la vérité de l'être, la lecture heideggerienne de Nietzsche manque la femme. Cette lecture ne pose pas la question de la différence sexuelle, alors que celle-ci n'est pas une question régionale, mais autre chose, peut-être pas même une question (puisqu'il n'y a ni essence, ni vérité de la femme - qui pourtant, elle-même, est la vérité). Dans les analyses nietzschéennes, l'homme prend possession de la femme, qui se donne. Ce don, qui délimite le propre, s'inscrit dans l'échange, dans l'appropriation. Il pose la question du propre. Qu'est-ce que le propre? Cette question posée sous l'angle de la différence sexuelle est plus puissante (on pourrait dire plus fondamentale) que celle qui est posée sous l'angle de l'être (ontologie), du phénomène, du sens ou de l'interprétation. C'est cela que manque Heidegger. Le procès de langage, l'échange symbolique en général, s'organisent à partir de la différence sexuelle. Mais Heidegger prend le propre pour une valeur. Il ne cesse de le valoriser (Eigentlichkeit, eigen, Ereignis), comme s'il savait ce qu'est le propre, alors que le donner, le prendre, la dette, le coût, ne peuvent être élaborés qu'à partir du sexuel. La nécessité du propre chez Heidegger, sa préférence indéracinable pour le propre, tiennent à cette incapacité de repérer sa structure abyssale.

Il arrive pourtant à Heidegger de repérer le don de rien en tant qu'il ne se laisse pas penser à partir du sens de l'être; mais il le fait d'un pas de colombe, sans l'associer à la différence sexuelle.