Pour Jacques Derrida, la fameuse phrase de Cézanne, Je vous dois la vérité en peinture, et je vous la dirai est un trait d'esprit. Quelle est la particularité d'un trait d'esprit? Il franchit les limites, comme le fait, pour Cézanne, l'acte de peindre. Il est irréductible aux systèmes d'opposition structurés ou aux règles qui gouvernent le langage. Il introduit dans la langue du jeu, de l'incertitude, de la chance, du reste. Alors que dans l'oeuvre commune, celle qui est instituée dans le discours, le trait semble indivisible, il est, dans le cas de l'oeuvre cézanienne, divisible à l'infini. Jamais il n'apparaît comme tel, et jamais non plus il n'apparaît pour la première fois. Il commence par se retirer, se contracter. D'une trace, il entame l'origine, travaillant le cadre où il apparaît [la lettre de Cézanne à Emile Bernard, le tableau] sans être ni dedans ni dehors ou plutôt à la fois dedans et dehors, figure et fond, forme et contenu, signifiant et signifié, etc... Quand il a lieu, là où il a lieu, le trait se divise. Sa place est, dit Derrida, celle du passe-partout.

Ce qui fait "texte, trace, reste", et aussi idiome, c'est ce qu'on pourrait appeler, dans un autre langage, l'archi-oeuvre. L'oeuvre, qui a lieu dans son idiome secret, intraduisible, laisse une trace, une inscription d'un texte illimité, sans bord, où plus rien n'arrête la différance.