Dans un film, le montage fait la loi. Il impose son ordre "syntaxique, taxinomique et métonymque". Devant un matériau qui se présente comme amorphe, dispersé, il décide d'un enchaînement, d'une séquentialité. C'est un acte arbitraire et aussi motivé [car le matériau ne peut pas être assemblé n'importe comment]. C'est un artefact, une écriture contre laquelle parfois Derrida [qui a joué comme acteur, comme thème et aussi comme référent du film de Safaa Fathy D'ailleurs, Derrida] se révolte, se met en colère, mais il n'y peut rien, car la vérité du film tient au point de vue du réalisateur, pas au sien. Tout ce qu'il peut faire, c'est choisir pour le texte qu'il écrira, lui aussi, en après-coup, un autre ordre qui est aussi un désordre. Il intitule ce texte Lettres sur un aveugle, Punctum caecum, et choisit l'ordre alphabétique [ce n'est plus la lettre unique de Diderot, ce sont des lettres]. Privilégiant la lettre, cet ordre-là restaure l'aléa, il traduit le chaos de la vie, il se soustrait à la contrainte du montage. [Ainsi peut-on attirer l'attention sur le point aveugle du film, ce point qui reste invisible à tous - réalisateur, spectateurs, acteur - ce point irréductible à quelque prise de vue ou quelque montage que ce soit].