La femme, pour Lévinas, est l"accueillante par excellence", l'"accueillante en soi". Silencieusement, sans mots, elle fait de sa maison un asile, une retraite où s'exerce la loi de l'hospitalité c'est-à-dire où c'est elle-même qui est accueillie, par son invité, comme un invité. Alors que Lévinas a tendance à rabattre cette position sur la position féminine (un choix que Derrida qualifie d'"androcentrisme classique"), Derrida insiste sur le caractère originel et même pré-originel de cette hospitalité. Avant même l'éthique, avant même toute nécessité empirique, avant même l'arkhè (commencement et commandement) [c'est-à-dire dans l'anarchie], avant toute détermination d'un lieu appropriable, une hospitalité absolue est exigée. Pour Lévinas, cette hospitalité est marquée par la différence sexuelle [elle est plus féminine que masculine]. Qu'en est-il pour Derrida? Il ne conteste pas cette marque sexuelle, mais il prend ses distances à l'égard de l'hyperbole féministe. L'hospitalité absolue, il la rencontre déjà dans la bible : le don de la loi, la ville-refuge, la terre d'asile, Jérusalem, le Sinaï, ce qui le conduit curieusement à opposer à Lévinas les textes bibliques que Lévinas et Rosenzweig convoquent eux-mêmes.