Pour Derrida, si le souverain est reconnu, s'il suscite la peur et le respect, c'est d'abord, avant toute violence, avant tout usage de la force, à cause de l'illusion qu'il produit, de l'évidence visible, éclatante de sa représentation, de la croyance en la parole ou la fable qui, par sa simple énonciation, fait une vérité, la vérité reprise dans le récit dit fondateur du pouvoir en place. Le souverain n'est qu'un effet de fiction, un simulacre, l'effet d'un acte de langage, d'un performatif qui suffit pour étayer sa toute-puissance. L'assujettissement est une mystification où le sujet, croyant produire lui-même l'histoire qu'on lui raconte, participe lui aussi de la souveraineté. Le sujet partage la pulsion de voir, de savoir (pulsion épistémologique ou de curiosité) et de pouvoir véhiculée par tout souverain, qu'il soit roi, nation ou peuple. Il en résulte que la souveraineté n'a pas de substance, elle n'existe pas comme telle (sa puissance n'est pas séparable de la parole qui la légitime). On peut en hériter, on peut la transmettre, on peut la partager, la transférer, la distribuer, la transformer, la traduire, mais quel que soit le combat politique, il ne peut aboutir qu'à une transaction, une négociation.

S'en prendre à la souveraineté comme telle, comme le font tous les révolutionnaires, c'est encore entretenir l'illusion de son pouvoir.