Invité à parler de la crise de l'enseignement philosophique, Jacques Derrida fait d'abord remarquer que la crise présupposée par ce titre est inséparable de son contexte. Quel contexte? S'il s'agit de la philosophie en général, telle qu'on l'entend en Occident, alors on peut dire que la philosophie comme projet universel est "l'expérience même de sa propre crise". Il n'est pas de philosophie sans doute radical, sans autocritique. Elle ne cesse de s'évaluer, de se définir, comme elle évalue et définit tous les autres champs. Son système de domination et d'autorité repose sur ce droit. En évoquant, en décembre 1978 à Cotonou (Afrique) la crise de la philosophie, Jacques Derrida s'inscrit-il dans ce projet-là? Oui et non car, dit-il, la déconstruction ne s'identifie pas à ce lieu, elle le déborde. Après la décolonisation, un nouveau rapport à la philosophie doit être défini.

Comment poser la question de l'enseignement de la philosophie dans une langue qui ne soit pas celle des puissances colonisatrices? Il faut d'abord poser un principe que Jacques Derrida défend en toutes circonstances : il n'y a pas le choix, il faut renoncer au dogme positiviste de l'unité de la langue et jouer de la multiplicité des langues. Le monolinguisme est toujours celui de l'autre, du pouvoir. L'enseignement de la philosophie tel que nous le connaissons a été mis en place dans la première moitié du 19ème siècle, à l'époque des débuts du colonialisme, celle où la science commençait à se développer en tant que telle comme processus techno-scientifique - on ne peut enseigner aujourd'hui la philosophie sans déconstruire ce moment.