La position de Beuys est distincte de celle de Duchamp. Alors que, pour Duchamp, la source de légitimité de l'artiste tient à son être-artiste - c'est-à-dire à l'art lui-même, elle relève selon Beuys de l'humanité de l'homme. Der Mensch ist das Kreativ Wesen, dit-il. La créativité n'appartient pas seulement à l'artiste, mais à tout homme. En puissance - et même en acte -, tout homme est un artiste. L'instance de légitimation se situe du côté d'un agir corporel, muet, indépendant de ce à quoi il donne forme (la beauté, l'esthétique). C'est la force productive qui compte, et non pas l'oeuvre produite. L'être humain doit produire ses moyens de subsistance, qui sont représentés chez Beuys par les accumulations de graisse ou de feutre. Cette activité n'a rien d'une profession. Elle s'inscrit dans la sphère de la nature plutôt que dans celle de la culture - ou indistinctement dans les deux. L'artiste ne se situe ni du côté de ce qu'il dit, ni du côté de ce qu'il fait, mais du côté de ce qu'il est.

Mais alors en quoi l'art se distingue-t-il de la nature? Pourquoi l'artiste ne se résorbe-t-il pas dans le monde? Y a-t-il une alternative à l'autoproclamation moderne de la qualité d'artiste?