A propos du documentaire de Wang Bing (A l'Ouest des rails, 2003), ce film excessif par sa durée (9 heures, sélectionnées parmi 800 heures de rushes, filmées sur 3 années). Il y a dans ce film un changement de métaphore : l'errance est destructrice et non plus constructrice, comme dans les road movies. Tout est en voie de disparition : les lieux (le complexe industriel de Shenyang), les figures d'ouvriers, les usines, les habitations, les chemins eux-mêmes. Il n'y a plus d'intériorité. Le monde tombe en ruine, le dehors envahit le dedans, l'avenir est fait de débris. On ne filme même plus le temps historique, référentiel, mais seulement l'attente.

Alors que, dans un documentaire, les personnes interrogées cherchent généralement à s'affirmer, à saisir l'occasion de se donner un rôle social effectif, une place dans le monde, elles apparaissent dans ce film indifférentes à leur image, sans espoir, ni illusion, ni confiance. Elles ont accepté la défaite.

La caméra fonctionne comme regard non humain, comme machine montée sur une machine (ici la caméra sur la locomotive). Le regard mécanisé enregistre en boucle les forces à l'oeuvre, l'effondrement de ce monde qui la contient, les corps morts, les hommes qui ont déjà digéré la défaite, au-delà de la lutte. Le cinéma perd sa fonction consolatrice, il devient "notaire de la disparition d'un monde".