Indépendamment de la volonté des réalisateurs, le cinéma a pour particularité de se filmer lui-même. C'est une machine auto-réflexive qui garde la trace des opérations qu'il effectue, du contexte et des conditions matérielles de l'enregistrement et d'une infinité de "détails" qui ne deviennent visibles qu'après-coup. "La machine ne fabrique pas seulement des images, elle fabrique du regard qui voit ce qui ne s'était pas vu" écrit Jean-Louis Comolli. Le cinéma capte une vibration du monde qui a échappé aux yeux et aux oreilles de ses contemporains. Il ne montre pas que la lumière, mais aussi l'ombre; il fait voir ce qui est resté dans le cadre tout en étant caché à l'expérience immédiate du spectateur.

La désynchronisation est au moins double :

- compte tenu de ses délais de fabrication, le film arrive longtemps après l'événement qui a pu le susciter (p72);

- tous les spectateurs ne le voient pas en même temps. Les expériences, les réceptions, les subjectivités, sont décalées.

Alors que les médias sont soumis à des rythmes réguliers, le cinéma disloque les synchronies, il ouvre le temps. Toute séance de cinéma est un après-coup. Le présent de la séance est hanté par d'autres présents : ceux du tournage, du montage, du mixage.

Pour faire ce film L'Exercice de l'Etat (2011), il a fallu à Pierre Schöller un recueil qui aurait été impossible dans les médias traditionnels.