En tant qu'il est régi par l'état d'exception, le camp de concentration est dans une situation juridique ambiguë. Il est ouvert en-dehors de l'ordre juridique normal, mais par application de l'état d'exception que cet ordre prévoit. En tant que décision du pouvoir souverain, il est réalisé dans la norme, mais cette norme est indiscernable de l'exception. N'étant pas basé sur la reconnaissance d'une situation de fait (le danger pour la sécurité publique) comme l'exigeait la constitution de Weimar, il met à nu la structure de ban qui caractérise le pouvoir : la question de sa légalité ou de son illégalité est privée de sens. Comme l'explique Hannah Arendt, la loi y étant intégralement suspendue, tout y est possible. L'exception peut s'y réaliser de façon stable.

Le camp est une zone d'indistinction entre dedans et dehors, exception et règle, licite et illicite. La personne y est réduite intégralement à la vie nue, dans l'espace biopolitique le plus absolu qui ait jamais été réalisé. Ici le corps n'est pas une question de fait ni une question de droit, mais l'enjeu d'une décision politique opérant dans l'indifférence absolue entre le fait et le droit.

C'est le paradigme même du moment où l'homo sacer se confond virtuellement avec le citoyen - moment biopolitique qu'on retrouve dans de nombreuses catégories apparues au 20ème siècle.