Il y a, dans l'écriture, en tant qu'elle produit son propre signe, une sorte d'orgasme. Francis Ponge a eu beaucoup de difficultés à terminer son texte Le Savon (commencé en 1942). Il n'a réussi à l'achever que dans les années 1960, pour le proférer à la radio et le publier en 1967 sous sa forme écrite. Un texte, une fois écrit, ne dépend plus de la parole. Il est mis sur orbite. Quand un texte est bien agencé, ajusté, au niveau de ses racines, il est pris dans une sorte de mouvement perpétuel. L'auteur peut mourir, le texte fonctionne tout seul. C'est un fonctionnement arbitraire, conventionnel, de la structure, qui proclame : Je suis, je ne suis que ce que je suis, et j'en jouis. C'est une pure tautologie. De même que la beauté est la beauté, cette jubilation contenue dans le nom se développe dans la joie. En se disant elle-même, elle sonne comme telle à sa propre gloire. Elle éclaire, elle produit de la lumière pour le lecteur, et si le lecteur lit vraiment le livre, s'il accomplit cet acte, alors il se révolutionne lui-même, il accède physiquement, matériellement, à l'objoie (p186).