Peu importe que ce tableau aborde un thème mythologique, ou qu'il ait été peint il y a 400 ou 500 ans. Artaud ne le considère pas sous l'angle de l'histoire de l'art. Ce qui compte pour lui est le drame, ce pathos visible même de loin, cette harmonie visuelle foudroyante, cette capacité à émouvoir l'oreille autant que l'oeil.

Un ciel noir, chargé, un fouillis des formes, un Loth indifférent avec ses filles transformées en prostituées, une sexualité profonde mais poétique, une lumière orageuse qui tombe comme la pluie, des étoiles qui bombardent le paysage comme des hallucinations, un déchirement sonore, le mouvement d'un feu en action, destructeur, énergique et troublant, un contraste entre le calme de la mer, la stabilité du monde et la violence du désastre qui coule les bateaux et emporte la ville, tout cela agit directement sur le cerveau comme un réactif physique.

Plusieurs siècles de peinture nous ont désaccoutumé de cet art métaphysique avec sa grandeur poétique, son efficacité concrète, sa profondeur spirituelle. Cette peinture-là ne savait que peindre, tandis que ce tableau nous introduit à l'intérieur de l'esprit comme le ferait une musique.