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Hétérogénéité maçonnique                     Hétérogénéité maçonnique
Sources (*) :              
Gaëtan Bertineau - "Un mythe salomonien", Ed : Galgal, 2002, Page créée le 23 juin 2008

 

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[La F-M n'a d'avenir que comme lieu matriciel de l'hétérogène]

   
   
   
                 
                       

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Je vais partir d'une anecdote. Lorsque je n'étais qu'un profane, j'ai subi comme tout le monde les trois enquêtes préalables. A cette époque je suivais des cours auprès d'un enseignant que j'appréciais beaucoup. Un jour, à la sortie du cours, nous sommes allés prendre un verre. J'ai saisi l'occasion pour lui poser la question : Qu'est-ce que tu penses de la franc-maçonnerie? Il m'a répondu : Je connais beaucoup de francs-maçons et j'ai de l'estime pour eux ainsi que pour leur association. Mais en ce qui me concerne, la franc-maçonnerie ne fait pas partie de mon projet de vie. Sur le moment, ces paroles m'ont paru anodines. Mais peu à peu avec le temps, elles me sont souvent revenues à l'esprit. Que dois-je en penser? Qu'est-ce qu'un projet de vie? Qu'est-ce que ça veut dire, que quelque chose fasse ou non partie d'un "projet de vie"? En ce qui me concerne, la F-M fait-elle ou non partie de mon projet de vie?

J'arrive maintenant à un certain seuil de mon appartenance maçonnique. Après vingt ans d'expérience plus deux années de vénéralat, je crois qu'il est temps de faire un bilan. Je vais donc essayer de reposer cette question avec le plus de lucidité possible. La franc-maçonnerie fait-elle partie de mon projet de vie? Si oui, pourquoi, et si non, pourquoi?

D'abord, une objection préalable. Est-ce que je n'ai pas déjà répondu à la question par ma pratique? Quand on a passé 20 ans dans une institution, quand on a vécu toutes sortes d'événements et accédé à l'Orient, est-ce qu'on ne peut pas dire que, de fait, la F-M est entrée dans son projet de vie? Si cette notion de projet de vie se mesure au temps et à l'énergie consacrée, c'est certainement le cas. Mais l'argument est relatif. Parfois, nous agissons d'une façon contraire à notre orientation profonde. Nous pouvons nous tromper systématiquement pendant des dizaines d'années, et même toute notre vie. Nous nous enfermons dans des voies sans issues, dans des impasses. Par conséquent, le simple fait de ne pas avoir quitté l'association ne prouve rien. La question reste ouverte. Pendant ces 20 années la F-M a-t-elle vraiment fait partie de mon projet de vie?

Avant je poursuivre, je voudrais faire encore une observation. La notion de projet de vie est purement personnelle, individuelle. Elle n'est en aucune façon généralisable. En conséquence tout ce que je vais dire maintenant ne concerne qu'une seule personne, moi-même.

Reformulons encore une fois la question autrement : Quel a été mon but dans cette institution? Pourquoi suis-je venu? Je crois que le principal moteur de mon adhésion a été de "voir autre chose" et de "faire autre chose". Quand on est fatigué de la famille, du travail et de la vie courante, on peut être avide de nouveauté et de changement. Mais cela fait-il un projet de vie?

Voyons les choses d'un peu plus près. Je ne suis certainement pas seul dans mon cas, mais je fais partie de ces personnes qui ont toujours envie de commencer autre chose. Une vie professionnelle assez classique, des choix politiques assez stables mais qui ne vont jamais jusqu'au militantisme, un intérêt pour certains courants de pensée, surtout autour de la philosophie et de la psychanalyse, un plaisir particulier à suivre des enseignements de toutes sortes, beaucoup de lecture et parfois un peu d'écriture, des voyages organisés principalement autour d'événements dans l'art, qu'ils aient lieu n'importe où dans le monde, une préférence marquée pour la montagne au détriment de la mer, et aussi un intérêt particulier pour l'enseignement de quelques rabbins, y compris celui qui vient d'être élu Grand Rabbin de France, et, entre tout ça, une position que je qualifierais de laïque, c'est-à-dire un refus de choisir un camp plutôt qu'un autre. Tout cela peut vous paraître contradictoire, et d'ailleurs, ça l'est. Tout le problème est là. S'il y a quelque part, en moi, un projet de vie, il n'est pas facile de lui trouver une cohérence explicable. J'ai la spécialité de m'engager dans des voies qui peuvent paraître incompatibles entre elles, et c'est sans doute l'une des raisons de mes déconvenues.

A ce point, je commence peut-être à toucher au fond du sujet, en tous cas par l'un de ses aspects. Chez moi, la division n'est pas extérieure, mais intérieure. Je ne m'identifie totalement à aucune de mes casquettes, mais partiellement à toutes. Allez expliquer ça à un vrai militant, ou même à un vrai maçon, je vous assure que vous aurez du mal. La société est devenue aujourd'hui incroyablement segmentée, et parfois il vaut mieux cacher certaines de ses appartenances pour être accepté. Cela ne vaut pas que pour les appartenances religieuses. Allez dire, aujourd'hui, que vous êtes franc-maçon dans certaines cercles universitaires; ils vous prendront pour un idiot. Evidemment, si vous êtes seulement maçon, vous pouvez vous dire un maçon dans la Cité. Mais si vous êtes maçon et quelques autres choses, vous ne pouvez plus vous dire rien du tout. Ayant été élevé à cheval sur quelques langues et sur quelques cultures, j'ai une longue expérience de ce genre d'ambigüité, et les affirmations idylliques du genre "Si tu es différent, tu m'enrichis" sont rarement suivies d'effet.

J'en profite pour revenir à la F-M et vous faire remarquer un petit détail qui, aujourd'hui, me frappe. Nous avons un rituel très efficace qui nous permet de prendre la parole chacun à notre tour. Cela nous donne une garantie de pouvoir parler, mais pas du tout une garantie d'être entendus. Après quelques dizaines d'années et au moment de faire un bilan, après être intervenu des dizaines de fois sur les sujets les plus divers car je ne suis pas quelqu'un de spécialement silencieux, je me demande ce que mes auditeurs francs-maçons ont pu retenir de ce que j'ai raconté. A mon avis, c'est très peu de choses. Le rendement de notre salive est plutôt faible. Pour résoudre ce problème, il faudrait, en plus du rituel pour la parole, un rituel pour l'écoute, mais malheureusement ça n'existe pas. Et mon expérience personnelle m'a démontré que les quelques écrits que j'ai pu disperser ont eu plus d'influence que des monceaux de paroles.

Si l'on admet donc, ce qui me paraît soutenable, qu'une des particularités de mon projet de vie personnel, c'est-à-dire de celui que j'ai effectivement mis en oeuvre, est d'accepter le postulat de ma propre hétérogénéité, je pourrais poser la question du projet de vie de la façon suivante : Puis-je laisser s'exprimer mon hétérogénéité en loge? On peut, en première analyse, exprimer quelques doutes. Il y a trop de monde dans cette institution, qui cherche à vous rabattre sur un seul trait identificatoire, et bien peu sont disposés à imaginer à quel point vous êtes à cheval sur différents types d'existence.

En expliquant tout cela, je crois avoir un tout petit peu progressé. Si j'admets qu'un des traits de ma personnalité est de ne jamais être complètement identique à moi-même, est-ce que cet état de fait peut trouver une expression dans notre honorable institution? Vue sous cet angle, la F-M possède une qualité positive à mes yeux, quoique paradoxale. C'est qu'elle n'a pas de contenu. Sur ce point, je suis en désaccord plus que probable avec certains membres de cette loge. En effet, je reconnais ne pas croire, et n'avoir jamais cru, aux symboles maçonniques. De mon point de vue, on pourrait remplacer l'équerre ou le compas par n'importe quel objet, le résultat serait exactement identique. La seule chose qui compte, c'est de s'arrêter sur un symbole, quelqu'il soit, et de le mettre en mouvement. Moins ce symbole a de contenu, et plus il y a de chance que le mouvement s'opère. J'apprécie donc particulièrement les symboles vides.

Mais revenons à nos moutons. Si j'admets que la principale caractéristique de mon projet de vie est l'incohérence, alors une F-M compatible avec ce projet se caractériserait par un droit à l'hétérogénéité. Quand je parle de droit à l'hétérogénéité, je ne parle pas de droit à la différence ni de diversité culturelle. Je parle du droit à être à la fois dedans et dehors, à la fois religieux et laïc, à la fois individualiste et grégaire, etc..., et je rêve d'une franc-maçonnerie qui fonctionnerait sur la base de ces principes. Si je devais la définir, je dirais qu'une telle F-M serait une matrice de l'hétérogène, c'est-à-dire quelque chose de complètement différent d'une F-M normative, qui est aussi assez largement répandue parmi nous.

J'en arrive donc à ma conclusion. La franc-maçonnerie est-elle compatible avec le projet de vie qui m'a animé jusqu'à aujourd'hui, volontairement ou involontairement? Ma réponse est, à ce stade, Oui. En effet, être franc-maçon est l'un des éléments de mon hétérogénéité. Si je le supprimais, je serais plus cohérent avec moi-même, ce qui irait à l'encontre de l'objectif poursuivi, qui est d'entretenir en tout état de cause et en toutes circonstances mon propre écart avec moi-même. Je resterai donc, pour autant que je puisse prévoir l'avenir, et sous réserve d'événements imprévisibles, un franc-maçon, à condition que cette appartenance vienne en plus de toutes les autres, et ne me force pas à jouer le simulacre d'une cohérence dont je suis incapable.

J'ai dit.

 

 

Un des problèmes de cette institution est la difficulté qu'elle a à se mettre en question elle-même. Je vais donner deux exemples :

1°) Un grand nombre de scandales ont été causés dans différentes obédiences par le comportement de certains dirigeants. Les raisons sont diverses, mais les scandales récurrents. Pourtant, cela n'a jamais conduit aucune obédience à faire un véritable audit de ses pratiques, et notamment de l'usage assez particulier qu'elle fait des principes de la démocratie. Il aurait fallu pour cela une transparence qui serait rapidement devenue incompatible avec son organisation hiérarchique, masquée derrière le vocable institution initiatique, formule qui n'a probablement aucun sens.

2°) Il est clair pour tout observateur externe que le rituel en F-M fonctionne exactement de la même façon que le rituel de n'importe quelle religion ou pratique profane. Pourtant la croyance que notre rituel se distingue par essence ou par nature de tout autre rituel du simple fait qu'il est maçonnique, est largement répandue. Pour moi, cette croyance, y compris sous ses dehors laïques, est, elle aussi, fondamentalement religieuse.Certains imaginent qu'on ne peut pas être à la fois être au-dedans et en-dehors de la religion. Je crois qu'ils se trompent complètement : dans la plupart des situations, on est entre les deux, voire dans les deux - et c'est la dénégation de cet état de fait qui conduit à l'aveuglement sur soi-même.

 


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