Dans leur "Avant-Propos" au Cahier de l'Herne de 2004 consacré à Jacques Derrida, Marie-Louise Mallet et Ginette Michaud commencent par expliquer que Jacques Derrida a contribué à transformer plusieurs champs du savoir : la philosophie, la religion, l'éthique, le droit, la littérature, l'art, la psychanalyse, les médias et télétechnologies, etc... Cette œuvre est un frayage. Elle porte une injonction, un appel à l'écriture auquel de nombreux auteurs répondent, traversant les frontières nationales et aussi celles des savoirs et des disciplines. Par son ampleur, son hétérogénéité, sa générosité, elle pousse à l'invention dans des domaines variés, y compris le dessin, la peinture ou la musique. Les deux introductrices évoquent l'impressionnant corpus de Jacques Derrida :

"qui met en œuvre tout autrement le concept d'œuvre, tout comme ceux d'auteur, de signature, de genre, d'adresse, etc..." (p11).

Marie-Louise Mallet et Ginette Michaud donnent peu de précisions sur ce qu'il en est, selon elles, de ce concept d'oeuvre. Mais un peu plus loin, elles écrivent à propos des textes publiés dans ce Cahier par Jacques Derrida :

"Dans tous ces textes (...), il s'attache à repenser, depuis la logique de ce qu'il nomme l'"im-possible", tous les concepts et affects mis à l'épreuve dans ces actes de langage [mentir, pardonner, promettre, parjurer, témoigner], chaque fois d'une performativité inouïe, dans la "vie" comme dans les textes (...) (p12)".

"Mettre en œuvre autrement" le concept d'œuvre derridien, ce serait témoigner d'une performativité inouïe. De quoi s'agit-il? Pour en donner une idée, on peut revenir à la façon dont Derrida définissait, quelques années plus tôt, son propre travail, dans L'Université sans condition (p40). Dans cette conférence prononcée pour la première fois en 1998, il s'intéresse à ce qu'il nomme l'énigme du concept d'œuvre.

Lettre d'Emmanuel Lévinas à Jacques Derrida du 6 octobre 1967. "Sous votre regard, dès la première page, tout se met à bouger secrètement" écrit-il.