Dans La fausse monnaie de Baudelaire, après le titre, vient immédiatement la phrase : "Comme nous nous éloignions du bureau de tabac...". Tout semble commencer par un éloignement. De quoi s'éloigne-t-on? D'un lieu où se distribue, où se donne le tabac, cette dépense inutile, cette pure consommation qui part en fumée, en cendres. Un tel don serait, pour Derrida, le premier acte. Il faut distinguer entre le départ, qui part en cendres avant même la première scène, avant la loi, avant toute légitimité, et le commencement, qui suppose avant lui un serment, une foi jurée, un acte de confiance.

Dans l'histoire de Baudelaire, le narrateur a un ami qui trompe un mendiant en lui donnant une fausse monnaie. Pour lui (le narrateur), c'est un acte impardonnable, une trahison, une tromperie. Qu'est-ce qui justifie ce sentiment d'une trahison? Dans le texte, ce n'est pas clair, c'est obscur et elliptique. La trahison renvoie à un engagement (un acte de confiance, une alliance, une promesse, un acquiescement) qui aurait été accordé avant même le commencement, un engagement si essentiel que sa transgression fait diverger, de manière décisive, les deux amis.