Dans ce que Jacques Derrida appelle hospitalité inconditionnelle ou visitation, l'hôte reçoit avant même de savoir quoi que ce soit de celui qu'il reçoit. Il part de rien. Par principe, les enjeux sociaux ou politiques sont mis de côté. Il se trouve dans une situation de non-savoir radicale par rapport au visiteur. C'est une sorte de tragédie. L'hôte accepte a priori que l'autre puisse l'affecter au point qu'il ne s'y retrouve plus. Le risque le plus grave touche à sa propre identité. Il risque de perdre la maîtrise de ce qu'il est.

Une hospitalité vraiment inconditionnelle serait poétique, car il faudrait inventer à chaque fois une nouvelle langue dépourvue de grammaire préalable pour accueillir le visiteur. On ne pourrait jamais écarter le risque de débordement, la menace imprévisible et donc jamais écarter une renonciation. Pour garantir l'effectivité de l'hospitalité, l'hôte serait inéluctablement conduit à poser des conditions. Mais cependant, le principe d'hospitalité inconditionnelle resterait à l'horizon.

Si je ne reçois que ceux que je suis autorisé à recevoir, si je ne m'expose pas au risque, ce n'est plus de l'hospitalité. De la même façon qu'il faut donner au-delà de ce que l'on a, il faut donner au-delà de ce que l'on est.

A tout moment, on peut passer au droit, à la politique, à l'hospitalité conditionnelle. Il n'y a pas de concept stabilisable d'hospitalité "pure". L'hospitalité est toujours pervertissable (c'est-à-dire réductible à une hospitalité conditionnelle) et perfectible (conditionnée et médiatisée par un tiers). Mais cela n'annulle pas la responsabilité qui consiste à inventer un lieu de rencontre unique.