Ce passage sur la question de l'oeuvre, écrit la même année que L'Origine de l'oeuvre d'art (1935), prend la suite d'un fragment d'Héraclite : La guerre est mère de toutes choses, reine de toutes choses, et elle fait apparaître les uns comme dieux, les autres comme hommes, et elle fait les uns libres et les autres esclaves (fragment 53). Pour Heidegger, l'oeuvre est un combat (polemos). Ce n'est pas une guerre à la manière humaine, c'est un combat originaire qui fait surgir les combattants en tant que tels : dieux et hommes, libres et esclaves, dit Héraclite. Mais pour Heidegger le combat vient avant la distinction de l'humain et du divin. C'est ce par quoi l'étant se pose, en s'affrontant. Par l'oeuvre "s'ouvrent des failles, des distances, des espaces et des jointures" dit le traducteur. Par des oeuvres nait le monde, il se recueille, il devient logos.

Pour Heidegger, polemos et logos sont la même chose. Quand le combat cesse, il faut des gardiens pour garder l'oeuvre dans sa stabilité. Le monde se détourne. Il y a toujours de l'étant (l'oeuvre est là, à disposition), mais elle est installée dans ses limites, placée dans sa forme comme produit fini. Devenue objet pour le Regarder, pour le Faire, devenue modèle pour la reproduction et l'imitation, elle laisse l'homme devenir "le despote et le pilote du disponible". Elle ne se dresse plus en s'épanouissant (le phainestai comme apparaître, au sens de l'épiphanie d'un monde).