Selon Bruno Latour, la modernité repose sur un double fondement (1) il faut absolument séparer l'humain du non-humain (2) il faut multiplier les hybrides et les médiations qui (sans le dire) contreviennent à cette séparation. Il en résulte une série de paradoxes :

- la nature peut être reconstruite en laboratoire, elle est immanente, elle ouvre des possibilités illimitées / nous ne pouvons rien contre les lois naturelles, la nature est transcendante, elle a des lois nécessaires qui nous dépassent infiniment,

- la société est notre construction d'hommes libres / il y a des lois sociales contre lesquelles nous ne pouvons rien, donc la société, qui obéit à ces lois inéluctables, est transcendante,

- les modernes peuvent critiquer l'obscurantisme des anciens pouvoirs sur la base des lois de la nature et des sciences sociales nouvellement découvertes, s'indigner des croyances irrationnelles / annoncer une aube lumineuse construite sur la base d'un savoir total, dépourvu d'idéologie, avec la certitude de dominer son destin.

Avec leur puissance critique, les modernes sont devenus invincibles. Ils peuvent séparer les lois de la nature et les libertés humaines tout en les mélangeant; ils peuvent multiplier les réseaux, les médiations et les traductions entre des domaines qu'ils affirment radicalement distincts.