Il suffit d'ouvrir un journal pour voir se multiplier les articles où la science, l'économie, la politique, le droit, la religion, la technique ou la fiction sont mêlés. On peut constater le même mélange dans les disciplines universitaires : histoire, sociologie, économie, philosophie, anthropologie, sémiotique. On ne cesse de tisser des réseaux, de traduire d'un champ dans un autre. Le pouvoir, la guerre, les techniques, les microbes, les mythes, les rites ou l'inconscient affectent tous les domaines et traversent toutes les frontières. Dans les sociétés traditionnelles, cette continuité n'aurait rien de surprenant. La nature, la culture et le discours sont vécus dans la continuité. Mais dans son rapport aux hybrides, la modernité est paradoxale. D'une part, elle les multiplie; mais d'autre part, depuis Boyle et Hobbes, elle affirme un axiome : il y a coupure entre les faits (non-humains), que seuls les scientifiques peuvent représenter, et les sujets (humains), que seule l'organisation politique peut représenter.

Ainsi l'homme moderne exploite-t-il la nature, mais sans lui accorder aucun statut dans la vie politique. Les garanties constitutionnelles ne concernent que les citoyens. Les objets naturels sont supposés identiques à eux-mêmes depuis toujours, tandis que les hommes décident librement de leur destin.