Qu'est-ce qu'une personne? En quoi reste-t-elle, dans la durée, identique à elle-même? On évoque traditionnellement la conscience, l'aptitude au langage ou la délibération morale. Judith Butler inverse cette prémisse. Selon elle, la personne n'est pas définie par la cohérence ou la constance de ses attributs logiques, mais au contraire ce sont les normes socialement instituées (normes de sexe, de genre, de sexualité) qui fixent l'identité de la personne. Pour qu'une "personne" se stabilise, il faut que le sexe biologique, le genre et le désir sexuel, marqués par les oppositions binaires et hiérarchiques dominantes entre le masculin et le féminin, convergent. Le désir est supposé refléter et traduire le genre; et le genre est supposé refléter et traduire le désir. Ce paradigme réifie et rationalise les rapports binaires inscrits dans la grammaire et dans la langue. Il pose le sexe biologique comme cause, même si l'expérience démontre que cette prétendue cause n'est qu'un effet des régimes de sexualité produits par le discours.

Les discontinuités ou incohérences entre ces termes sont vécues comme des menaces pour la personne.

Aujourd'hui, la prolifération d'identités ou de pratiques sexuelles qui apparaissent comme des anomalies ou des impossibilités logiques menace l'intelligibilité de ces catégories (ce que Butler nomme : trouble dans le genre). Quand l'hégémonie hétérosexuelle est perturbée, c'est la catégorie même de sexe [biologique] qui est mise en question. Elle pourrait même disparaître [remplacée par le genre].