Hannah Arendt évoque la parabole de Kafka selon laquelle l'homme se bat contre deux antagonistes : l'un qui, depuis l'origine, le pousse de derrière; et l'autre qui barre la route devant lui (depuis l'antiquité la plus reculée, l'avenir renvoie l'homme dans le passé). Il rêve d'occuper un jour, une fois, par inadvertance, une position d'arbitre - mais ne peut éviter de se réengager dans la guerre. Sans lui, les forces du passé et du futur se seraient neutralisées et détruites depuis longtemps.

Au point où l'homme se tient, le combat ne cesse jamais. Le flux ininterrompu du temps se fractionne en forces qui agissent à leur tour sur lui. Le temps se déforme, il n'est plus rectiligne. Il est poussé vers une diagonale dont l'homme est incapable de trouver la résultante. Exténué sous la pression de ce combat, l'homme finira-t-il par mourir d'épuisement? Pourra-t-il vivre dans cette brèche? Trouvera-t-il une région, un petit tracé de non-temps (au coeur même du temps) où le souvenir et l'attente pourront le sauver de la ruine? Chaque être humain nouveau, chaque génération nouvelle doit découvrir et frayer à nouveau cet espace - entre un passé infini et un futur infini.

Pendant longtemps, cette brèche a été comblée par la tradition. A l'âge moderne, elle est devenue un problème pour tous - c'est-à-dire un fait qui désormais relève du politique.