Longtemps le pouvoir souverain a eu sur ses sujets un droit de vie ou de mort. A l'âge classique, ce pouvoir a été limité au cas où le souverain était menacé dans son existence même. Mais même dans ce cas, son pouvoir ne dépassait pas un droit de prélèvement ou de prise : il pouvait soustraire une vie comme il pouvait s'approprier une part des richesses, mais il n'était pas en mesure de contrôler la vie.

A présent les mécanismes de pouvoir se sont profondément transformés. Il ne s'agit plus de prélever, mais d'inciter, de surveiller, d'organiser la vie. Il ne s'agit plus de soustraire des forces, mais de les faire croître et de les ordonner, d'assurer le maintien du corps social, son développement. Les guerres ne se font plus au nom du souverain qu'il faut défendre, mais au nom de l'existence de tous : ce sont des populations entières qui s'entretuent, pour la défense de la communauté ou de la race. Ce n'est plus l'existence juridique du souverain qui est en cause, c'est l'existence biologique d'une population. Avec l'arme nucléaire, "le pouvoir d'exposer une population à une mort générale est l'envers du pouvoir de garantir à une autre son maintien dans l'existence".

La mort est devenue la limite de la vie, le moment qui échappe au souverain, le point le plus privé de l'existence.