Le Soi singulier ne s'enracine pas dans l'individualité, mais dans le caractère. L'individualité, c'est la particularité de l'homme face aux autres, c'est une voix dans la symphonie polyphonique de l'humanité, c'est l'animal politique, c'est la contribution de chacun à l'universel ou au bien commun, c'est le monde éthique. A cela, chacun participe avec sa personnalité. Mais le Soi singulier ne dépend que d'un seul homme. Il n'a pas de pluriel. On ne peut le comparer avec aucun autre. Il n'est aucun des enfants des hommes, il est seul, comme Adam, l'homme lui-même.

Le caractère est un énoncé, une affirmation, tandis que l'individualité est un objet. C'est lui qui lance le défi de la volonté. L'homme créé à l'image de Dieu ne l'est pas comme personnalité, mais comme Soi singulier. C'est à lui que le serpent de la Genèse s'adresse. C'est lui qui persiste, dans la vieillesse, alors que la puissance génératrice s'est épuisée.

L'individualité naît le jour de la naissance naturelle, tandis que le Soi singulier naît quand s'efface l'individu, et avec lui toutes les richesses et tous les biens qu'il croyait posséder. Alors ne subsiste que le caractère souverain qui n'est déterminé par aucun contenu, l'ultime singularisation et l'ultime solitude, qui va de l'inconnu à l'inconnu, qui ne reconnaît nulle particularité éthique car il a son éthos à lui.