La coupure ombilicale sépare les individus de leur supplément placentaire. Elle ne les empêche pas de rester proches de leur mère, mais les coupe pour toujours du champ ombilical perdu. Ils sont découplés, dé-fratrisés, déracinés. Toutes sortes de substituts mythiques ou métaphoriques de cet accompagnateur originel [que Sloterdijk désigne sous différents noms : le nobjet, l'Avec] ont été déployés : oiseaux de l'âme, esprits protecteurs, doubles spirituels invisibles, génies, amulettes, gourous, grands maîtres, religions, etc.... L'arbre de vie a été l'un des plus répandus. Il relie la quintessence des forces du monde : le ciel et la terre, le spirituel et le végétal, etc..., apportant au groupe une cohérence symbolique et sphérique.

La modernité se débarrasse du placenta. Elle le jette ou le détruit, ce qui contribue à faire sombrer l'individu dans l'isolement ou la crise nihiliste. Pour impliquer des populations gigantesques dans des délires synchronisés et des fantasmes de regénération porteurs de violence, elle déploie des substituts qui passent par les médias techniques. Elle arrose l'"arbre" de la communauté avec des systèmes scolaire, postal, militaire et médiatiques qui s'appuient sur les Etats-Nations.

- P. : On peut qualifier ces liens de supplémentaires (et non pas complémentaires). La perte placentaire ne serait plus un défaut, une sorte de pathologie à réparer, mais l'essence même de l'homme, le mouvement qui l'entraîne dans le langage et dans la vie sociale.