L'espace entre ces deux visages est chargé de tensions antithétiques extrêmes. L'un est auréolé et l'autre non. Le monde des Saints est séparé de celui des mortels ordinaires. Entre les deux, la différence est impénétrable - même si la convention picturale la rend visible. L'être éminent et l'être vulgaire se font face. Le premier a des proportions nobles, une attitude aristocratique, tandis que le second est courbé. Entre son front et son nez, une encoche a une signification monstrueuse.

Mais selon Peter Sloterdijk (Spheres1 p165), la principale différence est ailleurs : le Christ est porteur d'une force ouverte. Il accepterait de réintégrer le traître dans son espace, si celui-ci était capable d'y pénétrer. Mais l'isolement avide de Judas rend impossible ce rattachement à la sphère commune. Il embrasse le Christ, mais ne fait pas partie de son espace amoureux. Même à proximité, il est toujours en marge. Devant l'aura de l'homme-Dieu, son regard reste égoïste. Du regard qu'ils échangent, aucune vie commune ne peut naître. Entre leurs profils s'ouvre dans l'image une cavité en forme de calice : c'est la mort, le désanimé qui les sépare.