L'art totalitaire est injonctif, prescriptif, enthousiaste et parfaitement lisible, ce qui correspond au goût des masses. Mais, comme l'art totalitaire, il est aussi condamné à sa propre impuissante. John Heartfield, avec ses collages, n'a pas arrêté le nazisme, et Picasso, avec Guernica, n'a pas empêché le triomphe du franquisme. La révolution n'est belle que dans la conscience de son impossibilité. Cette beauté ne peut s'envisager que comme promesse ou horizon mythique.

Quand l'idéal révolutionnaire s'effondre, quand les syndicats sont démantelés, la classe ouvrière s'efface, quand l'intellectuel perd sa place et son autorité, quand le passé ne se transmet plus, l'avenir ne se projette plus, la mondialisation paraît aussi floue que l'anti (ou alter) -mondialisation, quand les réseaux s'étendent et se généralisent, que reste-t-il sinon la provocation? Certains banlieusards partagent avec certains artistes une attitude qui relève de la contestation, risible, tragique, naïve, médiocre ou simplement pétrie d'illusions humanistes, mais ce n'est ni de l'art ni de la politique. Si l'idéal d'une oeuvre d'art susceptible d'éveiller les consciences ou de modifier le cours de l'histoire subsiste, l'art contemporain échoue à le concrétiser. A la déréliction du politique correspond la défection de l'art politique. Devant la complexité du réel, l'art est aveugle.