Quelle idée peut-on se faire de la démocratie? Si c'était une idée régulatrice au sens de Kant, on pourrait se diriger sur elle pour passer du particulier à l'universel; mais cela supposerait qu'il y ait un universel de la démocratie, c'est-à-dire un concept rigoureusement définissable. Or la démocratie, dit Derrida, diffère d'elle-même (on peut toujours l'inventer autrement). Le mot est un héritage, un coup d'envoi qui renvoie à autre chose, à l'altérité de l'autre. Sur la frontière instable entre le politique et l'au-delà du politique, elle est toujours critiquée, inadéquate. Ce qui fait défaut en elle, ce ne sont pas (ou pas seulement) ses faiblesses, ses excès (excès de liberté dans les mœurs, la corruption ou l'économie), c'est son sens, son ipséité, la mêmeté du même. Les excès ne sont pas exceptionnels, ils sont constitutifs. Portant en elle l'exigence toujours renouvelée d'une réforme, d'une transformation, jamais elle n'est identique à elle-même. Toujours à venir, ajournée et différée, en avance et en retard, inachevée, sans dernier mot, elle reste dans l'attente d'une illumination, de la clarté des Lumières. Dans le temps et dans l'espace, elle est marquée par la différance.

La vraie démocratie, conforme à son idée ou à son essence, est introuvable. Elle ne s'expérimente jamais dans la présence, mais au-delà de l'être. Ne pouvant survivre que dans l'aporie, les exigences contradictoires des double binds, elle est irréductible à un concept. Ou encore : son concept n'est pas politique de part en part.