Par rapport à Heidegger, Derrida réitère la révolution du politique que Nietzsche avait initiée par rapport à l'apostrophe aristotélicienne. "Ennemi, il n'y a point d'ennemi!" disait Nietzsche, pour appeler à une amitié / inimitié au-delà du "O mes amis, il n'y a point d'ami" (traduction conventionnelle de la phrase d'Aristote). Dans Sein und Zeit, Heidegger parle d'"écouter la voix de l'ami que chaque Dasein porte près de lui". Il faut, dit Derrida, écouter la voix de l'ennemi, celle du conflit, du combat, de la discordance, de la différance, une voix que Heidegger entendait encore en 1927 (par un seul mot, Kampf, dans Sein und Zeit) mais que, en 1955, il n'aurait plus voulu entendre. Heidegger a sacrifié cette voix de l'ennemi qui s'était imposée à lui dans le contexte trouble des années 1933-1935, avec notamment le Discours du Rectorat. Il fallait, pour prescrire le rassemblement du logos, [cette entente ou accord qu'on peut entendre comme un souci de "réparation" de la violence nazie], que cette voix reste inaudible.

L'oreille de Heidegger, premier titre de ce texte qui en a quatre, est sacrificielle. Ce qu'on ne doit plus entendre, il faut le sacrifier (ici le combat originaire); mais comme pour tout sacrifice, il en résulte une dette, une poussée vers la production, la fabrication, la création, les oeuvres.