Analysant la Fausse monnaie de Baudelaire, où l'ami du narrateur déclare qu'il a donné à un mendiant une fausse pièce, Jacques Derrida envisage l'hypothèse selon laquelle le narrateur aurait menti. Et si cette pièce, déclarée fausse dans le récit, avait été vraie? Cette hypothèse, dit Derrida, est la plus intéressante. L'ami aurait laissé croire que la pièce était fausse pour produire un effet sur le narrateur et sur nous-mêmes, lecteurs. Mais qui saura jamais s'il a dit vrai ou s'il a menti? C'est pour toujours un secret inviolable. Sur la scène de la fiction, les personnages n'ont aucune consistance ni épaisseur, le mendiant est muet et le restera, il n'y a rien à voir au-delà du phénomène littéraire. C'est ce secret qui rend possible la littérature. S'il est gardé, si la monnaie peut être vraie ou fausse, alors il peut y avoir spéculation, des effets de croyance sont en jeu. Le lecteur lit le texte, mais l'intention du personnage ou de l'auteur restent illisibles. Au fond de la crypte, l'énigme reste absolument indéchiffrable. Il n'y a même pas de promesse de déchiffrement : on ne saura jamais ce que l'ami a voulu faire.

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Pour qu'il y ait don [s'il y en avait, mais c'est impossible], il faudrait qu'il soit ignoré, oublié, ou encore [ce qui revient au même] qu'il reste indéfiniment secret, un secret indéchiffré, inviolé, inconnu, impartageable.