C'est ce que laisse entendre Anatole France dans un dialogue du Jardin d'Epicure qui se termine ainsi : "Toute expression d’une idée abstraite ne saurait être qu’une allégorie. Par un sort bizarre, ces métaphysiciens, qui croient échapper au monde des apparences, sont contraints de vivre perpétuellement dans l’allégorie. Poètes tristes, ils décolorent les fables antiques, et ils ne sont que des assembleurs de fables. Ils font de la mythologie blanche". Derrière chaque concept métaphysique, on trouve une figure sensible usée, dont le sens est presque oublié. Le personnage d'Anatole France souhaiterait restaurer cette figure originelle, retrouver sa signification sensible et matérielle. Mais les philosophes font l'inverse : ils effacent ce sens originel dans un procès de métaphorisation qui rompt le lien entre le sens originel et l'usage métaphysique. Cette rupture se manifeste par des concepts à forme négative : ab-solu, in-fini, in-tangible, non-être, etc...

Tout cela conduit au terme mythologie blanche repris par Jacques Derrida comme titre de son article. Cette mythologie est l'idiome de l'homme occidental, son logos, la forme universelle qu'on appelle aussi Raison, dénoncée ici comme une fable, une fiction, le produit d'une scène inscrite à l'encre blanche, effacée, oubliée, mais qu'on peut retrouver par l'étymologie. On retrouve le même type de critique chez Renan, Nietzsche, voire Freud ou Bergson. Ils témoignent d'une conception symboliste du langage qui privilégie la diachronie sur le système, la profondeur sémantique sur le signe, la continuité sur les ruptures et déplacements.