Dans l'Ancien Testament, les notions de Bien et de Mal n'existent pas. Dans l'arbre de la connaissance, il y a du bon et du mauvais, mais ce ne sont pas des concepts, ce sont des expériences ou des fruits. C'est Platon qui introduit l'Idée de Bien (kalos, un mot qui nomme aussi le beau), avec un grand B, Idée dont Aristote, puis les Pères de l'Eglise, s'empareront, et pour laquelle il faut un antonyme, le Mal. Mais la liste de ce qui peut être mauvais est très diversifiée : un plat, un poison, un acte criminel, une note dissonante, etc. Ce n'est pas le mal qui est voulu en tant que tel, il n'est (en tous cas pour Eve) que le résultat de la tentation, ou l'effet de la liberté. On peut être responsable ou coupable sans avoir voulu le mal. Si le mal est incurable, impossible à éradiquer, ce n'est pas parce que l'homme est méchant par nature; ou plutôt c'est parce qu'il y a en tout homme la possibilité de la cruauté, de l'indifférence ou de l'incapacité à penser la souffrance d'autrui, de la désinvolture, de l'égocentrisme ou de la paresse [et aussi ce que, par exemple, Marc Crépon appelle le consentement meurtrier].

Si le mal en soi n'existe pas, il ne peut pas y avoir de volonté de faire le mal comme tel. La malveillance absolue "n'est qu'une fiction littéraire ou métaphysique, un concept limite sans référent effectif"(Laurence Hansen-Love, Oublier le bien, nommer le mal, p44). Elle "se dérobe à la réflexion à la manière des particules d'Heisenberg que l'on ne peut stabiliser pour les examiner". Le méchant ne veut rien de déterminé. Il n'est ni nihiliste, ni destructeur.