Derrida
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La voix coupée du corps                     La voix coupée du corps
Sources (*) :              
Aleth Eljinek - "Dans la plaie ouverte", Ed : Galgal, 2007, Page créée le 20 juillet 1995

La voix est un hiatus dans le corps

   
   
   
                 
                       

- ALETH : Il y a une différence essentielle entre la voix et le corps : c’est que la voix est une vibration, tandis que le corps ne l’est pas. Certes, il faut s’entendre sur les termes. Je parle du corps organique, du corps de la réalité, du corps courant comme il fonctionne. Souvent ce corps subit des vibrations; parfois même, peut-être, en produit-il. Mais dans leur grande majorité, les processus qui constituent le corps ne sont pas vibratoires. Il en résulte fatalement la chose suivante : d’une façon ou d’une autre et à des degrés d’intensité variables, la vibration vocale est vouée au statut de dissonance dans le corps. Si la voix est la source même de l’humanité, alors cette source dissonne.

- SAPHIRA : Il arrive aussi que tout ton corps résonne.

- ALETH : Alors les organes ne se distinguent plus les uns des autres. Le corps n'est plus organique. C'est un corps sans organe (comme dirait Artaud), une réalité globale déterminée par la vibration.

- FRANCINE : Pourtant la voix, elle aussi, fait partie du corps.

- ALETH : Par l’intermédiaire de la voix, le corps est présent à lui-même. C’est une transmutation bizarre et mystérieuse. La voix me dit : Je suis un être sonore, et je ne peux rien y faire, je sais qu’elle dit vrai, j’en ai la confirmation dans tous les recoins de ma gorge, du pied au cerveau. Cette confirmation habite n’importe quelle partie du corps et le transforme en une totalité, le corps sans organes. Quand elle réussit, l’intégration de la dissonance vibratoire s'appelle plaisir ou harmonie. J'aime la voix quand elle habite cette tension. Quand on cherche à tout prix à oublier cette tension, on n'a même plus d'harmonie, on n'a que de la platitude. Et quand l'opération ne réussit pas, alors le hiatus entre la voix et le corps s'affirme.

L’émission de la voix (la fonction biologique nécessaire à la parole) s’opère par une suite rapide d’ouvertures et de fermetures de la bouche, c’est-à-dire de rapprochements et d’éloignements des lèvres.

La plupart du temps, notre bouche est fermée. C’est une question de confort : il est plus reposant de fermer la bouche que de l’ouvrir, et si notre langue pendait comme celle d’un chien, nous serions vite desséchés. Mais ceci ne suffit pas à expliquer la crainte superstitieuse qui s’attache à la bouche ouverte. Une bouche ouverte est associée à un manque de retenue (ce qui est paradoxal, car en vérité il est plus facile de fermer la bouche que de l’ouvrir), c’est un signe de satisfaction ou (pour une femme) d’orgasme. Aaaaah!

Peu de peintres osent représenter des bouches ouvertes, et quand ils le font ils sont souvent accusés d’indécence, voire d’obscénité.

Les lèvres offrent une sorte de compromis entre la fermeture et l’ouverture. D’où leur érotisation.

La bouche close a une fonction sociale essentielle. C’est une preuve de stabilité, d’acquiescement général à la position statutaire des uns et des autres. Close, la bouche dit : “Il en est ainsi!”.

Si la voix est un souffle, il faut bien qu’à un endroit ou à un autre elle se distingue de la respiration, qui est aussi un souffle. D’un souffle biologique à un souffle vocal, on passe d’une logique à une autre. Il s’agit d’un franchissement prodigieux, de ceux qui ne réduisent pas et ne se réduiront jamais à une formule.

Le cri est dans le corps. Il est incapable de s’extraire du corps; ce qui ne veut pas dire qu’il ne fasse pas limite. Il fait limite, mais limite à l’intérieur même du corps. Aussi loin qu’il s’entende, il donne à entendre une division affective qui plonge ses racines dans l’expérience animale. En ce sens, le cri n’est pas une voix. Il est étranger à l’expérience de la voix. Il peut véhiculer la douleur, la crainte, le désespoir ou l’horreur, mais ne peut jamais transmettre la vérité. Quand une voix s’éloigne de tout souci de la vérité, elle se rapproche du cri, et inversement, quand on recherche la vérité, on ne crie plus. Pour un être humain, un cri est toujours une chute, il conduit toujours au bord d’un précipice.

Il est plus facile à l’être humain de parler que de crier. Le cri est involontaire. Il ne se produit que dans certaines circonstances d’effroi, de désespoir, de douleur ou de démence. Ces circonstances sont plutôt rares; et pourtant, même quand elles se produisent, on est encore loin d’accéder à la Chose. On laisse parler sa profonde nature animale, ce qui n’a rien à voir avec la Chose, car la Chose est humaine, la Chose est le plus profondément celé dans l’humain.

Il est une fonction humaine spécialement dédiée à cette séparation : c’est le chant. Tout instrument (notamment les instruments de musique) divise le corps, mais le chant, lui le divise au point où la respiration perd sa fonction biologique. Le chant brise la synergie usuelle entre la voix et la respiration. Sa fonction est artificielle, instrumentale et (justement pour cette raison) essentiellement humaine. Si la voix est naturelle à l’homme, le chant est l’artifice qui fait de l’homme un être absolument civilisé. Qu’est-ce que le chant? Une certaine répartition du tonus musculaire, qui soutient le son avec le souffle. Un certain équilibre entre différentes tensions.

Le rire est une façon particulièrement douloureuse de respirer. Des hoquets incohérents nous défigurent; aucune parole articulée ne nous échappe, et pourtant, ça nous fait plaisir.

Sans la voix, le corps resterait opaque à lui-même. Il serait son propre réel, et ne le saurait pas. La voix y trace un sillon, un sillon corporel suffisamment hétérogène pour qu’une certaine distance soit creusée. Ce sillon, c’est la conscience : une voix qui creuse de manière intermittente une profonde déchirure dans un corps qu’elle s’approprie en le déniant. Que faire de ce creusement intermittent? Le recommencer. Reconnaître qu’il n’est jamais totalement garanti et qu’il est toujours totalement nécessaire. Le rejouer sans cesse, comment? En parlant. Parler nous extrait du corps, mais en outre parler fabrique dans le corps une dimension altière et grandiose : la conscience. Or cette dimension est essentiellement étrangère au corps. C’est, littéralement, un corps étranger, tellement étranger que certains ont pu croire et que beaucoup croient encore que la conscience n’est pas corporelle mais autre chose, spirituelle par exemple.

La voix est une déchirure, mais c’est une déchirure qui prend corps.

La voix creuse dans le corps de telle façon que quelque chose en soit produit. De la subtile alchimie des canaux, des boucles et des creux, résultent des fabrications tangibles.

La voix fait effraction par rapport à toute harmonie, même quand elle contribue à cette harmonie.

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Aleth
VoixCoupure

CH.COR

Q.hiatus

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