Pour qu'il y ait exemplarité, il faut d'une part un axiome abstrait, une valeur supposée universelle à laquelle acquiescer; et d'autre part un corps propre, une singularité où cet universel peut s'inscrire. Toute identité particulière, y compris lorsqu'elle est agressive ou xénophobe, renvoie à un universel qu'elle prétend représenter. Que l'enjeu soit social, national ou personnel, il en est toujours ainsi : selon Derrida, c'est une loi qui ne souffre aucune exception. Mentionner un exemple, c'est en appeler à l'universel, et c'est affirmer que cet exemple-là, dans sa singularité, répond de l'universel. La structure est celle du témoignage. L'exemple "crédible" traduit l'universel en particulier, il assigne l'universel à sa particularité. Sa crédibilité tient à la fiabilité d'un idiome, d'une culture, d'un individu. Si l'exemple se présentait comme "le corps opaque d'un idiome intraduisible" (Derrida, L'autre cap, p72), il ne serait pas crédible.

On ne croit au discours de la responsabilité - et donc de l'exemplarité - que s'il se présente comme "le témoignage unique de l'essence humaine". C'est un paradoxe, une aporie, qui se concrétise dans la tradition européenne par la multiplicité des devoirs.